Longtemps désiré, il s'agit sans doute d'un des livres les plus personnels de l'auteur. C'est pourquoi il revêt parfois l'apparence d'une méditation autour de l'idée de nature, davantage qu'une déconstruction minutieuse du concept, et c'est tant mieux.
Pierre Hadot remonte, dans cette longue et érudite étude de l'évolution de l'idée de nature en occident, l'histoire d'une métaphore originaire - l'idée que la nature a des voiles et aime à se cacher - sorte de noyau culturel de base, d'image fondamentale matrice de notre civilisation. A partir de celle-ci deux continents de traditions émergent : une tradition (qu'il qualifie de prométhéenne) entendant soulever le voile en question et soumettre la nature aux volontés humaines ; et une tradition ou tendance sous l'égide d'Orphée qui entend respecter la pudeur avec laquelle la nature se voile.
On devine rapidement quelle tradition recueille davantage l'acquiescement - certes toujours critique - de l'auteur, et le livre est l'occasion pour Pierre Hadot de réinvestir des thèmes chers, en y apportant un ton peut-être plus personnel et davantage de développement : le frisson sacré devant l'existence, la perception esthétique des choses, l'étude de la nature comme exercice spirituel et la vision cosmique du monde, notamment.
L'ouvrage est une merveille d'érudition (un exemple parfait de "gai savoir", quoiqu'on puisse peut-être reprocher en fin de compte l'absence de thèses déterminées). Il nous entraîne irrémédiablement dans un double étonnement : face à notre tradition culturelle, tout d'abord, et la fabrication de nos concepts, l'auteur nous éclairant les différentes options qu'a pris la pensée en Occident pour penser la nature ; mais c'est alors que, me semble-t-il, comme ramenés aux moments originaires de ces choix parfois sans fondement véritables, avant même que ces concepts s'enlisent dans nos esprits pour devenirs plus naturels que la nature elle-même (et devenir par conséquent les prises avec lesquels nous la regardons), Pierre Hadot nous permet de porter un regard nouveau sur la nature, et de nous étonner de l'existence de quelque chose plutôt que rien, de reprendre graduellement et imperceptiblement conscience du mystère des choses (conscience nouvelle et bien éphémère, bien entendu, puisque ces quelques secondes arrachées au quotidien s'évaporeront dès le lendemain matin).