(ne devrait idéalement être lu qu'après le livre)


Après Les Braises (Sándor Márai), je fais une seconde excellente découverte en me tournant vers la littérature hongroise (une de mes priorités littéraires devenant d'ailleurs de régler sine die ma honteuse méconnaissance des auteurs de la puszta). Le Voyageur et le Clair de lune peut se lire comme une subversion du Bildungsroman romantiques ; non content de lui emprunter son thème (le cheminement de jeunes gens vers l'âge adulte), il se revêt de certains de ses motifs esthétiques (comme le voyage en Italie, durant lequel le protagoniste se remémore d'ailleurs les citations de Goethe).


Toutefois, comme je l'évoquais, cette ressemblance demeure superficielle ; ou plutôt, Le Voyageur… se pose à certains égards comme un anti-Bildungsroman. Le couple des protagonistes (Mihály et Erszi, deux jeunes mariés qui se séparent rapidement) ont tous les deux le même problème : ils ont le goût de l'absolu, à des degrés divers. Erszi pensait le satisfaire en Mihály, et va finalement le quêter dans une sensualité facile (ce en quoi elle est moins sympathique au lecteur que son ancien époux, bien qu'elle soit, au fond, mue par les mêmes ressorts) ; Mihály l'a frôlé, mais ne trouve pas en lui la détermination à creuser son penchant pour le vertige ; c'est un dilettante de l'absolu, en quelque sorte, contrairement à ses amis d'enfance Tamás et Eva.


Là où le Voyageur… n'est pas vraiment un Bildungsroman, c'est que les deux personnages achèvent certes leur formation en adultes, mais sans rien avoir appris. Erszi finit par retourner à son ancien mari après avoir été rattrapée par son sens de la dignité bourgeoise ; Mihály retourne à sa vie d'affaires sur le constat d'échec que “la réalité était plus forte que lui”. Peut-être est-ce, au fond, la seule morale qui vaille pour conclure l'adolescence : rien ne nous convaincra jamais que nous avons raison de transiger avec le cours du monde, et il faudra bien vivre avec.


Une citation : “Mais ensuite, elle commença à s’ennuyer, et alors, elle choisit Mihály, car elle sentait qu’il n’était pas tout à fait conforme, qu’il y avait en lui quelque chose de totalement étranger au cadre de la vie bourgeoise. Elle croyait qu’à travers lui, elle réussirait à franchir les murs, à s’évader dans les marigots couverts de broussailles qui s’étendaient vers un lointain inconnu. Mais Mihály, lui, voulait au contraire devenir conforme à travers elle, il s’était servi d’elle pour devenir un bourgeois ordinaire, et il ne s’aventurait dans les marigots que seul et en cachette ; puis, il fut las de la conformité, et s’enfuit dans les broussailles, seul. Et si Janos Szepetneki, qui ne veut pas devenir conforme, dont l’activité consiste à marauder hors des murs, qui est beaucoup plus solide et sain que Mihály. Tigre, tigre, feu et flamme dans les forêts de la nuit…”

Venantius
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le 7 nov. 2015

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