Pièce de jeunesse d’Anouilh, Le Voyageur sans Bagage est une œuvre forte, qui ne semble pas avoir la reconnaissance globale qu’elle mérite. C’est une œuvre d’une rare puissante où Gaston, soldat de la première guerre mondiale amnésique est mis face à une famille qui pense retrouver en lui un fils disparu. Face à tous ceux qui veulent que Gaston soit ce fils, qui trouvent que ce serait une belle fin pour cette histoire, Gaston lui cherche à ne pas se voir imposer un passé. Pire, l’hypothèse d’avoir été un homme cruel, un monstre l’interroge sur ce qu’il est réellement.
Le personnage de Gaston, interrogeant ce qu’il est, confrontant le passé qu’il rêvait et donc le passé qu’il espérait retrouver à la réalité du passé qu’il eu. Il annonce, à mes yeux, les figures existentialistes, étant sans concession, honnête vis-à-vis de lui-même sans être héroïque. Il est un briseur de rêve, quelqu’un qui refuse les faux idéaux qui cachent les faits mais qui simultanément aimerait ne pas connaître le Vrai qui est en-deçà de ses rêves.
Face à la famille Renaud qui invente un Idéal de justification pour le comportement du fils que Gaston est peut-être, Gaston préfère le réel quitte à ce que cela détruise ses propres espérances.
Le texte est riche de plusieurs lectures : Georges Renaud qui sert d’écho à Gaston, personnage qui lui ressemble le plus, sorte de doute ultime pour le personnage principal. C’est un angle de vue grandiose que de s’interroger sur la beauté morale de l’amitié via ce texte et sur le fait que finalement Georges était le meilleur ami de son frère, quand bien même ce dernier l’ignorait.
Une autre grille de lecture est l’opposition à une littérature plus romanesque incarnée par la duchesse qui n’est pas sans rappeler une écriture un brin fantasque tiré du Paris de la Belle époque. Opposant ainsi un monde qui cherche à oublier la guerre et un monde qui l’a vécu et tente de vivre.
On notera aussi que le texte ose interroger la nature humaine : qu’est-ce qu’un homme sans passé ? Qu’est-il alors dans sa pureté première ? Optimiste, Anouilh semble être ici un disciple de Rousseau.
C’est donc un texte d’une rare richesse qu’Anouilh offre ici. Un texte qui nous invite à réfléchir encore et toujours, à le relire en faisant attention à l’évolution, en voyant les effets d’appels, les échos.
Le seul défaut est pour moi l’achèvement du texte qui, au terme de cette longue suite d’opposition à la vérité, permet à Gaston de se sauver avec la Fortune et une famille nouvelle devant lui.
La solution me paraît trop simple, trop gratuite, trop optimiste face à la dimension froidement réelle que fut cette étude de la vie humaine. On peut présumer qu’Anouilh, encore jeune, craignait de rebuter son public en ne permettant pas à Gaston de se trouver une belle fin.