Le pitch de Légationville était plutôt attractif. Raconter la difficulté de se faire comprendre par les habitants d'une autre planète utilisant un langage fondamentalement différent du notre. Un thème passionnant déjà abordé dans le fantastique Epépé du linguiste hongrois Ferenc Karinthy
Dans le roman de China Mieville, les Ariékans cohabitent en paix sur leur planète avec quelques colons humains dont seuls quelques uns, génétiquement modifiés, réussissent à comprendre la langue locale, il faut dire particulièrement ardue dans le genre. C'est ainsi qu'Avice, la narratrice, se retrouve à servir d'interprète entre une délégation humaine décidée à mettre la planète en question sous sa coupe et des représentants Ariékans qui n'y entendent pas grand chose a priori.
La question de la linguistique interplanétaire a été si peu abordée dans les romans de SF que Légationville, dont c'est le sujet central, constitue en soi une curiosité.
Etant curieux, je me réjouissais à l'avance de cette lecture...
Sauf que, loin de me confronter au seul langage sibyllin des Ariékans, je me suis heurté très rapidement au style très hermétique de China Mieville. C'est tout le paradoxe de ce roman : il s'évertue à illustrer dans son récit la question d'un langage incompréhensible mais dans un style parfois si inintelligible qu'on se demande si l'auteur n'est pas elle-même un peu ariékanienne sur les bords.
Pour se faire une idée de ce dont il retourne, voici un petit extrait du bouquin dont l'ensemble n'est certes pas toujours aussi abscons mais pas loin...
"Le miab se fend, projetant dans l'air des lames de matière mortelles de sa coque. Quelque chose émerge venu de l'immer.
La taxonomie est imprécise. Ce qui a fait surface ce jour-là était une manifestation mineure, la plupart des experts en conviennent - de celles que j'apprendrais par la suite à désigner sous le nom de rapièces. Ce fut d'abord une insinuation d'angles et d'ombres. Elle s'agrégeait à partir de ses environs,se manifestant dans le transitoire. A l'encontre des lois de la physique, la brique, la plastipierre et le béton des immeubles, la chair des animaux captifs dans les jardins ainsi que leur cages se déversaient vers cette chose flottante : la pénétrant, elles la substantifiaient. Les habitations se sont retrouvées privées de toits ; leurs ardoises dégouttaient de côté, pour former une présence dont l'incarnation devenait de plus en prégnante, de plus en plus adaptée à ce réel-ci.
On n'a pas tardé à l'abattre. Pilonnée à coups de ces parfois-guns qui défendent violemment le manchmal, notre matière, notre ordinaire, contre le toujours de l'immer. Après plusieurs minutes passées à hurler, elle a été bannie, ou expédiée d'où elle venait. "
Nul doute qu'il y a de la poésie là dedans et qu'on peut, avec un peu d'imagination, se représenter quelque chose. Mais pour enquiller les 540 pages de Légationville, il vaut mieux être très disponible ou du moins disposé à ce style quelque peu nébuleux. Cela n'a pas du tout été mon cas, je me suis avoué vaincu à mi-chemin.
Un roman intéressant mais éprouvant à lire.
Vous voilà avertis.
5/10