Les Âmes mortes par BibliOrnitho
Les âmes, ce sont les paysans qui peuplent le domaine d'un seigneur russe (barine). Ces moujiks sont des serfs, héritage d'un passé féodal qui perdure encore au XIXe siècle. Ce servage ne sera aboli qu'au premier trimestre de l'année 1861 par le tsar Alexandre II.
A l'époque de Gogol et de cette histoire, les serfs appartiennent encore au seigneur et font partie intégrante du domaine qui lui appartient. Comme tout autre objet ou marchandise, le serf peut être cédé ou vendu à un tiers. Le barine, chaque année paie un impôt (la capitation) sur chaque moujik, ou chaque âme qu'il possède. La population de moujiks doit donc être régulièrement recensée, en général tous les 10 ou 12 ans. Entre deux recensements, des moujiks naissent, d'autres meurent. Il arrive donc que le barine continue de payer une capitation pour des mougiks décédés. Paiement compensé par les enfants nouvellement et non soumis à l'impôt. Le recensement suivant remet à jour les listes et permet de réajuster les taxes.
C'est dans ce contexte que Tchitchikov, le héros de l'histoire, arrive dans une petite ville, chef-lieu de province et commence à se faire bien voir de tout ce que la bourgade compte de notables. Une fois dans la place, cet habile homme d'affaire va entreprendre une tournée des propriétaires de la région et leur adresser une étrange requête : il souhaite leur acheter leurs âmes mortes. En toute discrétion car dans la Russie religieuse, la vente de morts est susceptible de choquer. Et effectivement, certains propriétaires rechignent. D'autant plus que cette vente paraît être à l'avantage exclusif du vendeur qui se voit rémunéré pour cesser d'être taxé sur des morts qui ne leur rapportent plus par leur travail. Les propriétaires se font méfiants. Quel est l'intérêt de l'acheteur ? Certainement pas la plus généreuses des philanthropies. Tchitchikov leur sert une histoire chaque fois différente et adaptée à son interlocuteur pour se justifier et parvenir à concrétiser la vente à laquelle tous, sauf un, finissent par consentir, renonçant à découvrir l'intérêt de ce curieux acheteur pour se focaliser sur le leur.
Tchitchikov achètent plusieurs centaines d'âmes mortes pour plusieurs milliers de roubles et fait enregistrer la vente auprès de tribunal local dont il s'était précédemment attaché le président. Mais un vendeur finit par parler et l'apparent intérêt de Tchitchikov pour la fille du gouverneur conduise les habitants dans de folles spéculations à son endroit. Notre héros est obligé de quitter précipitamment les lieux craignant (à raison) la vindicte populaire.
Ici se termine la première partie du livre sans que soit clairement expliqué comment Tchitchikov compte rentrer dans ses frais en cédant ses âmes mortes au Conseil de tutelle de Russie.
Une seconde partie suit dans laquelle on retrouve Tchitchikov plus vieux de quelques années. Ils continuent de se déplacer en Russie dans la même petite voiture avec les mêmes chevaux et les deux mêmes domestiques. Il n'a apparemment pas fait fortune et ne possède que dix-mille roubles qu'il porte sur lui. Il continue d'acheter des âmes mortes, servant un nouveau baratin à chaque propriétaire visité. On le voit également acheter un domaine en piteux état à un propriétaire ruiné et désabusé. Mais le texte est décousu et comporte de nombreuses lacunes. Souvent il s'arrête au milieu d'un paragraphe ou même au milieu d'une phrase pour reprendre plus loin dans l'histoire dans laquelle le lecteur est projeté et peine à reprendre pied. C'est que, après la publication de la première partie, l'écriture de Gogol est devenue plus douloureuse. Pour cause de problèmes de santé, et de déprimes (ou dépressions) consécutives à des décès, l'écriture traina en longueur et fut par deux fois brûlée pour être reprise au début. Dans ces intervalles, Gogol confiait des portions de son manuscrit à des relecteurs qui ont, après sa mort, conservé les pages. Pages qui ont été partiellement retrouvées par la suite et réunies en un ensemble morcelé donnant vie à cette seconde partie du livre.
Un livre magnifiquement écrit, empreint d'un humour certain constituant une sévère critique de la société russe de l'époque, intéressée, cupide, envieuse et mesquine. Critique pouvant s'appliquer également hors des frontières russes et aux sociétés actuelles. Une critique encore terriblement actuelle.
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