[Science Fiction (Anticipation, Cyberpunk) / Polar (Polar Noir) / Thriller]


Rick Deckard est un chasseur de primes. Sa mission, neutraliser des Androïdes qui ont désertés les colonies spatiales pour se faire illégalement passer pour des humains sur Terre.
Rien de bien extraordinaire pour un scénario de science-fiction jusqu'à présent, et pourtant, cette œuvre du Géant, Philip K. Dick, a, sur bien des points, révolutionné le genre, et, en même temps ouvert la philosophie "Dickienne" à un large public.


En effet, si aujourd'hui la science-fiction explore aisément les frontières de la noirceur à travers l'anticipation la plus malsaine grâce à des oeuvres surnommées "TechNoire", comme Terminator, Neuromancier, Ghost In the Shell, Matrix, etc... Il faut se rappeler que rien de cela n'aurait été possible sans "Blade Runner - Les Androïdes Revent-Ils de Moutons Électriques ?", et même si cette inspiration vient plus de l'adaptation du roman par Ridley Scott, il faut quand même rappeler cette banalité que, sans le roman, il n'y aurait pas eu de film.
Mais restons ici, sur le roman, son univers, son récit et son influence.


Philip K. Dick, sur le marché du roman de SF depuis une bonne vingtaine d'années sort ce roman en 1968, et même si cette œuvre passe relativement inaperçue du fait d'un manque de renommée de l'auteur, elle ne manque cependant pas de mordant, à commencer par l'histoire, l'univers.
Nous sommes plongé dans un futur relativement proche, la plus part des terriens sont partis suites à une guerre nucléaire totale vers d'autres planètes, seul reste sur notre vieille Terre quelques personnes n'ayant pas quittées la planète soit par manque de volontés (pour but lucratif par exemple), soit par manque de moyen (comme Rick Deckard), soit par interdiction (comme John R. Isidore, qui a été trop irradié durant l'hiver nucléaire et qui risquerait de contaminer les colonies).
Dès lors, se peint inexorablement un monde sombre, froid, mais qui pourtant, regorge de technologie, de modernisme, dirigé par des puissances économiques et religieuses cherchant continuellement à s'affronter dans un duel perpétuel qui, au fur et à mesure, apparaît comme créateur de la morale sociale dominante guidant tous les humains, "les frontières de l'humanité".
Si l'expression peut paraître bizarre pour définir la norme ambiante, elle est, je pense, la plus appropriée. Pour comprendre cela, rentrons un peu plus en détails dans la philosophie Dickienne, ou, au moins dans la forme qu'elle prend dans le roman.
Comme je l'ai dis, deux forces s'opposent continuellement, la puissance économique se rattache aux fondements de la société, à une sorte d'ordre permettant à la population de maintenir un système dans une idée commune, ce que Marcel Mauss appelait le "Mana" dans sa sociologie de la magie en quelques sortes, permettant ainsi au groupe d'avancer vers une même idée, un même mode de vie. Ainsi, l'auteur nous immerge dans un décor tapissé par la publicité, où plus personne ne travaille par plaisir, ou par passion, mais seulement pour l'argent. Ce capitalisme poussé à son paroxysme peut alors s'incarner à travers le personnage de "l'ami Buster", apparaissant très fréquemment tout au long de l'intrigue, comme étant l'ami de tout le monde, le présentateur télé qui ne dit que des vérités et s'opposant toujours au personnage de Mercer, l'autre personnalité la plus aimée du peuple, et si pour les gens cette rivalité est perçue comme un jeu entre les deux protagonistes, il en résulte véritablement une volonté de destruction de la part de Buster envers Mercer.
Mercer donc, est un peu le Jésus Christ de cette Terre post-apocalyptique, communicant avec les individus à travers "les boîtes à empathie", une technologie plongeant les croyants dans une scène semblable au chemin de croix de la Passion, où chacun partage la douleur du nouveau Messie lors de l'ascension d'une montagne. Aprés le conditionnement social, vient alors le conditionnement moral cherchant à donner la norme essentielle "être humain, c'est être emphatique", une version extrême du "Aimez-vous les uns les autres", mais qui a tendance à plutôt bien fonctionner dans le sens où la criminalité n'est plus celle que nous connaissons.


Si ces deux doctrines, ces deux forces, se montrent comme opposée sur le plan microcosmique, elles sont en réalité en parfaite symbiose à l'échelle macrocosmique, et c'est là que l'on peut voir que Philip K. Dick était un grand ésotériste chrétien, en effet cette notion très alchimique ouvre la voie à une logique simple dans la construction de ces deux préceptes, le Mercerisme conduit les gens à l'empathie, donc pour prouver leur humanité ils doivent l'être, et la société de consommation incite les gens à acheter sur cette doctrine emphatique, à acheter des animaux.
Nous arrivons là à un tour de maître, que nous ne pouvons comprendre qu'au fur et à mesure de la lecture, un cercle parfait rendant ce monde incassable, rendant par la même occasion, ses dogmes incontournables, "être emphatique, c'est acheter des animaux ; acheter des animaux, c'est être emphatique".


La question de l'humain en tant qu'être ne dépend alors que de cette simple notion, si vous avez un animal, vos voisins vous pensent emphatique, donc vous n'êtes pas un androïdes, vous êtes intégré.


Rick Deckard est le parfait exemple de ceci, le héros emprunt aux angoisses de son métiers, tuer des robots à l'apparence humaine, influencé par les courant sociaux et les habitus de sa culture le pousse à se poser des questions existentielles:
-Doit-il avoir de l'empathie pour ces êtres qui ne cherchent qu'à vivre?
-Si oui, alors sont-ils humains?
-Si non, est-ce que cela fait de lui un androïde?
Le lecteur ne peut qu'être perturbé. C'est une chose assez fascinante dans ce livre, l'histoire en elle-même est passionnante, écrite à la manière d'un polar noir, donnant ce côté très... ténébreux (?) à l'intrigue, auquel Dick ajoute une dose de suspense intense qui pousse à ne pas lâcher le bouquin des mains avant de l'avoir fini, une sorte de vieux films dans lequel un flic traque des tueurs dans la pénombre nuptiale d'une ville dangeureuse, mais, où on se rendrait compte que, ce flic est en réalité, sans que lui-même ne le sache, bien plus un meurtrier que ceux qu'il pourchasse.


Ce décor post-apocalyptique bourré de technologie malsaine qui écrase l'humain jusque dans son esprit, cette philosophie existentielle complexe, sur laquelle je n'ai pas préféré m'attardé trop longtemps pour ne pas avoir l'air rébarbatif, cette course poursuite effrénée sous les lumières des publicités abondantes, ce conditionnement omniprésent, cette déshumanisation selon nos normes, apparaissant comme seule norme dans ce monde, et j'en passe... forment ce chef d'œuvre de la science-fiction, inventant son sous-genre qu'est le Cyberpunk.


Je conseil ce bouquin à tous ceux cherchant à lire de la SF, ainsi qu'à tous les autres.


VR_

ubik48
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le 17 août 2016

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ubik48

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