Ébouriffante lecture que ces "Anneaux de Saturne " de l'écrivain allemand W. G. Sebald. D'abord parce qu'on ne sait pas vraiment ce qu'on lit, qu'on a à peine le temps de le réaliser, que déjà le flot des mots nous emporte comme une inondation dans un paysage encyclopédique mouvant et presque aléatoire qui semble être dénué de sens avant de se cristalliser sur un constat tragique et magnifique de notre humaine condition .

Dis comme ça, ça a l'air profondément chiant, et pourtant on est très loin de l'ennui. Car Sebald, nous transporte dans un voyage pédestre et apparemment anodin, au sein des champs du Suffolk, (c'est au nord de Londres) au bord de dunes balayées par le vent, érodées par la mer et qui tiennent à grand peine contre l’assaut du temps, comme les bâtisses humaines qu'elles portent. Ces paysages désolés et venteux sont encore habités par l'esprit et les demeures des hommes qui les ont peuplés avant de sombrer peu à peu dans la déchéance de l'Histoire, cette Histoire si violente , si impitoyable qu'elle réduit à néant toutes nos prétentions, nous démontre Sebald.

Ce livre est magnifique par son érudition phénoménale (toutes sortes de sujets ahurissants sont traités en profondeur, de la vie de personnages célèbres à des moments peu glorieux de l'histoire humaine, en passant par des anecdotes presque ridicules sur le village du coin... ) mais il brille surtout par la mise en scène de l'activité humaine ( la culture de la soie , la pêche au hareng, la bizarre re-construction du temple de Jérusalem, les maisons prodigieuses et les stations balnéaires des riches du XIX...) et la confrontation de ces efforts avec une réalité inexorable: la cruauté de l'homme et la cruauté du monde. Chaque chapitre nous amène au détour d'une discussion badine sur le paysage marin du Suffolk à contempler soudain l'horreur de la guerre ou l'indifférence des éléments. Au Congo, en Chine, en Angleterre, on survole un catalogue ahurissant de la bêtise humaine. Une tragique et épouvantable réalité rend cet ouvrage incroyablement triste et révélateur.

J'ai été complètement bluffé par la ruse et le style faussement académique de l'auteur, qui s'arrange pour organiser de subtiles et dramatiques correspondances entre les thèmes et les images de chaque chapitre. Rien n'est laissé au hasard, et chaque image incongrue dans un chapitre prend sa pleine puissance lorsqu'elle est sublimée par son retour inopiné dans une autre discussion. Le livre est vertigineux dans sa construction labyrinthique et ce n'est pas pour rien que l'auteur se réclame de Jorge Luis Borges au départ de l'ouvrage. Lewis Caroll vient aussi à l'esprit. Personnellement je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Peter Greenaway et ses films à tiroirs.

Très très impressionné donc par ce bouquin, une des grosses surprises pour moi cette année, que j'ai trouvé passionnant contre toute attente, et que je vous recommande sans réserves!
nostromo
9
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le 16 oct. 2014

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nostromo

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