Voyage en terre inconnue
Jean Jacques Schuhl écrit bien, ce n'est pas nouveau. Ce qui est intéressant ici, c'est la manipulation de la langue afin de décrire des situations qui ne proviennent d'à peu près nulle part. Ni de...
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le 25 avr. 2022
Ce sont des miroirs où l’auteur-narrateur s’entrevoit sans jamais savoir s’il est bien lui, ce sont des éclats de couleur - un rectangle bleu, l’Hudson à New-York, des morceaux de verre qui reflètent les lumières d’un bar - qui l’ancrent de manière incertaine dans une réalité géographique toujours en question. C’est un bal de fantômes, parmi lesquels l’auteur lui-même, avec son identité en miettes qui flanche pour de bon lors d’un passage à l’hôpital suite à une violente hémorragie interne, n’est pas forcément le plus tangible. Passionnante première rencontre avec Jean-Jacques Schuhl, dandy-vampire littéraire qui fait ici l’éloge d’une écriture de la transfusion, de la superposition par transparences d’images contradictoires ou anachroniques, d’apparitions sous l’influence intoxiquée de T.S. Eliot, Rimbaud et Burroughs. Et des choses qui m’interrogent (un étrange rapport aux femmes-égéries de ses précédents livres ?), des références aux précédents textes qui m’échappent : une incitation à aller y voir mieux, en lisant Ingrid Caven et Rose poussière notamment.
Pour un écrivain, il ne s'agit pas d'une imitation mimétique, mais qu'une tournure d'esprit, un style, un rythme se transfusent dans une écriture, et la colorent légèrement du ton d'un modèle, d'une nuance nouvelle, comme une actrice qui incarne un personnage connu, une célébrité contemporaine, une reine: elle doit s'effacer mais aussi garder ses propres gestes et intonations, à peine teintés des caractéristiques du personnage, mieux vaut un pastiche un peu raté que de se livrer à un brillant numéro d'acteur où c'est à peine si on la reconnaît derrière maquillage, postiches et jeu outrancier, les tics de l'autre utilisés pour lui transfuser ce modèle comme beaucoup trop de sang à la victime d'une hémorragie, afin que le spectateur s'écrie: «C'est la reine Elizabeth toute crachée!» [Eustache, La Maman et la Putain] Le rideau s'est levé. La vitre: rectangle sombre. Alexandre: «Parler avec les mots des autres, ce doit être cela la liberté... »
Créée
le 5 nov. 2022
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