Pym est dans un bateau. La vraisemblance tombe à l'eau. Que reste-t-il ?
Fondation, description, conclusion.
Le seul livre d'Edgar Alan Poe pourrait se résumer avec ces trois mots.
S'il est magnifiquement bien écrit (et le traduction de Charles Baudelaire ne gâche rien), le récit de Poe, tentant de mêler la fiction à la réalité, (il mêle le destin de Poe et de Pym en un seul fil narrationnel volontairement ambigu) ne peut prétendre avoir tout à fait la force des véritables récits d'aventures qui foisonnent au cours des 18eme et 19eme siècle (Garneray, Trelawnay et combien de centaines d'autres), au moins dans sa première partie, du fait, justement, qu'il ne s'agit que d'une fiction, si bien (d)écrite soit-elle.
Paradoxalement, c'est d'ailleurs presque son côté très minutieux qui en constitue la force comme la (relative) faiblesse: il va tantôt falloir près de 10 pages pour sortir d'une cachette (du fait de la faiblesse du narrateur) ou presque autant pour récupérer une bouteille et des victuailles sous le niveau des eaux. Pour autant, la succession d'avanies auxquelles est confronté le héros laisse pantois quand on dresse la trame des exploits nécessaire à sa survie.
Bref, et pour en venir au côté description, les deux tiers de l'ouvrage sont tout à fait plaisants mais n'auraient su, et c'est mon très humble avis, laisser à la postérité la trace qu'il allait laisser si ce n'était par cette fin sublime.
Mais avant d'y venir, remarquons enfin cette curieuse façon de procéder qu'à Poe de régulièrement lâcher le fil de son récit pour ouvrir une large parenthèse pédagogique afin d'étayer son propos. On en apprend ainsi beaucoup sur les techniques maritimes, sur la faune, sur les différentes étapes de l'exploration maritime (dont il reprend des compte-rendu quasi complets).
Sans être désagréables, ces digressions pèsent un peu sur la dynamique de l'ensemble.
Oui, ces aventures de Gordon Pym sont éminemment fondatrices, le fait est connu. Jules Verne, avec son "Sphynx des glaces", Lovecraft avec ses "montagnes hallucinées" se sont ouvertement inspirés de Poe. Si cela est le cas, c'est bien à ses deux derniers paragraphes que le livre le doit.
Sans en déflorer la teneur, il faut juste indiquer que brusquement l'histoire bascule d'un aspect "aventure" en tout point rationnel (si ce n'est l'accumulation de ses péripéties) vers quelque chose de soudain fantastique, dans toutes les acceptations du terme.
L'influence de Poe va bien au-delà des deux auteurs cités, puisque qu'encore au début de ce 21eme siècle naissant, de formidables romans ont encre été écrit dans l'esprit des aventures de Pym: n'est-ce pas le cas de l'inoubliable "Terreur" de Dan Simmons, et sa mystérieuse créature blanche tapie aux fin-fonds de la banquise ?
L'un dans l'autre, une lecture indispensable pour tout amateur de récit de voyage / aventure / fantastique.
Dernier détail: dans l'édition "Le livre de poche", la préface verbeuse de Jean-Pierre Naugrette est tout à fait dispensable.