"Toute la littérature américaine procède d'un roman intitulé Aventures d'Huckleberry Finn", aurait écrit Ernest Hemingway.
Ce roman est directement enchaîné aux Aventures de Tom Sawyer, le dernier épisode de l'un étant les premiers épisodes de l'autre. Mais, entre temps, on change de narrateur, on change de type d'actions et on change d'ambiance.
Huck, c'est d'abord un roi de la fuite. Il faut voir le nombre de chapitres qui portent, dans leur titre, le mot "évasion". Huck fuit. Il fuit les coups de son père alcoolique. Il fuit des criminels. Il fuit des lynchages. Il fuit la violence, la bêtise et la superstition. Il n'arrête pas de fuir.
Ainsi, le roman avance par à-coups. Il se présente comme une suite d'épisodes dont Huck et l'esclave Jim sont les seuls points communs. Par vraiment de fil directeur.
Enfin, presque pas. Il y a bien un élément qui relie tout cela. Le Mississippi.
Le fleuve est incontestablement le troisième personnage principal du roman. C'est lui qui entraîne les deux héros, Huck et Jim, esclave qui fuit sa maîtresse qui, selon lui, voudrait le vendre. Tous les épisodes se déroulent sur ou à côté du fleuve. C'est lui qui dépose les personnages dans un lieu, c'est lui qui les sauve d'un danger, etc. Le Mississippi, un peu comme le Nil, est une quasi divinité, avec ses colères et ses bénédictions.
Mark Twain avait été pilote de vapeur le long du fleuve ; c'est de cela, d'ailleurs, qu'il a tiré son pseudonyme (son vrai nom était Samel Clemens). Et ce n'est pas le seul élément autobiographique de ce roman. Twain a avoué s'être inspiré d'une de ses connaissances pour créer le personnage de Huck, mais il y a mis beaucoup de lui-même. On y retrouve sa tolérance (envers les esclaves, par exemple) et son mépris des religions. On y devine son intelligence et son humour, même si ce livre n'est pas le plus drôle du romancier.
En effet, Les Aventures d'Huckleberry Finn est ^plus sombre que le précédent roman. Il faut dire que nos deux personnages (trois, si on compte le fleuve) sont témoins de la bêtise humaine, et surtout de sa violence. Lynchage, vendetta ridicule qui remonte à la nuit des temps et dont tout le monde a oublié l'origine, arnaques en tout genre et justice expéditive, la violence, sous toutes ses formes, est un des thèmes majeurs de ce roman.
Et si, au thème de la violence, on ajoute le rapport entre l'homme et la nature (comme chez Jim Harrison, par exemple) et les personnages de marginaux (que l'on retrouvera chez Steinbeck, Faulkner, Dos Passos et tant d'autres), on comprend pourquoi ce roman (plus dense qu'il n'y paraît) est considéré comme l'origine de la littérature américaine.