Elles sont les Belles. Figures distinctes du peuple. Figures adulées de la population qui ne peut que les soudoyer d’argent afin d’obtenir une maigre équivalence de beauté. Les Belles crépitent sous les flashs, offrent sourires et rêveries à la plèbe d’Orléans ; condamnée à la grisaille de son apparence. Dhonielle Clayton façonne un monde qui résonne curieusement avec le nôtre : culte de l’apparence, volonté de surpasser le voisin, d’être la dernière coqueluche des réseaux (pour les Belles, c’est dans le journal qu’on désire apparaître). Ici, la vieillesse est proscrite. Les défauts bannis. Ce qui fait la différence est balayé, renversé quand s’agitent les arcanes (magie) des Belles.
Élevées depuis l’enfance pour être acclamées, elles reçoivent un enseignement particulier, sont calfeutrées dans un palais jusqu’à l’âge indiqué pour leur sortie au grand jour. L'héroïne se nomme Camelia. Ce sont ses pérégrinations que l’on suit. Des personnages s’ajoutent tout au long des pages. Tantôt compagnons, tantôt ennemis. Un point important qu’il me semble important de hisser ; les Belles ne sont pas associées à la stupidité que l’on prête si aisément à la mode, à la beauté. Si leurs chamailleries du début présentent une naiveté touchante, elles se révèlent rapidement lucides de ce qui se trame autour d’elles.
Elément intéressant que souligne l’auteur à plusieurs reprises ; l’absence de jugement vis à vis de la sexualité des personnages. On aurait pu s’attendre à des diktats vis à vis des relations, mais celles-ci sont imprégnées de liberté. Des relations gays se tissent sous les yeux de Camelia sans que jamais le dégoût n'irrigue ses yeux, ni ceux de ses comparses. Peut-être s’agit-il d’un simple clin d’oeil à la frivolité qu’on associe à la Cour. Quoiqu'il en soit, il est plaisant de voir un roman avec des relations diverses, autres qu’hétérosexuelles.
« Toute restructuration du squelette ou manipulation destinée à
modifier en profondeur la forme d’un corps ou d’un visage est
interdite. La taille ne doit jamais mesurer moins de trente-huit
centimètres de circonférence afin que la silhouette conserve forme
humaine. La carnation de la peau doit rester dans la limite de la
pigmentation naturelle comme spécifié dans l’article IIA, Alinéa IV.
Le nez ne doit pas être trop fin de manière à ne pas empêcher la
respiration naturelle. Les citoyens de plus de soixante-dix ans ne
doivent pas recevoir de soins qui viendraient à les rajeunir et ce
afin de préserver le développement naturel du corps. »
L’auteur, de part sa plume, offre une imprégnation aisée de l’atmosphère jonglant entre sublime et atrocité. Orléans et sa grisaille. Le palais et sa magnificence. Les robes virevoltent de tissus toujours singuliers. Les mots bercent l’imagination, les descriptions permettent des rêveries de soieries et lorsqu’on se figure la beauté, ce sont les craquelures qui apparaissent, s’insinuent lentement entre les pages. Les dorures ne sont que vernis, mensonge pour la population qui refuse de voir.
Un univers fascinant, lézardé de noirceur. La beauté masque les défauts physiques, tout autant qu’elle essaye de cacher la psychée des personnages. Des scintillements et splendeurs du début, on se faufile lentement à travers les failles distillées à chaque page.
La mode et son revers implacable.
L’apparence et ce qui se dissimule sous la chair.
La monstruosité de l’Homme qu’on calfeutre sous l’apparat.