Diderot, l'Encyclopédie, les Lumières, la lutte contre l'obscurantisme et l'absolutisme... Mon oeil, oui.
Diderot est un de ces esprits brillants qui ne peuvent rester en place et sont de vrais provocateurs, pas de ces agitateurs qui font leur fonds de commerce de polémiques éphémères vite oubliées, mais un esprit tellement en avance sur son temps et tellement poil à gratter que certains de ses ouvrages me choque, oui, moi, le lecteur du XXIe siècle, et Dieu sait que je lui en sais gré. Ce que j'admire, chez Diderot, c'est son culot, qui ne se reconnaît aucune limite. Ce mec aurait écrit de nos jours à Charlie Hebdo et Dieu sait quelles horreurs il aurait inventées pour me faire sursauter d'indignation.
Les bijoux indiscrets, comme son titre le laisse présager, est un roman grivois publié de manière anonyme, un divertissement basé sur le présupposé suivant : un sultan qui s'ennuie, Mangogul, se fait offrir par le génie Cucufa un anneau magique qui a un pouvoir bien particulier : si on en tourne le châton sur une femme, les bijoux de celle-ci vont se mettre à parler. Et j'ai eu un doute, pendant une bonne cinquantaine de pages, mais il faut bel et bien entendre par "bijoux"... la chatte de ces dames.
En tout, Mangogul va utiliser son bijoux trente fois avant de s'en lasser. Bien évidemment, le présupposé n'est pas à l'avantage de ces dames, car Mangogul va faire un pari avec sa favorite Mirzoza : découvrir une seule femme conforme au modèle de l'épouse fidèle et aimante.
L'ouvrage se passe dans un Orient de fantaisie totale, qui mêle sans souci de cohérence l'Inde, le Congo, l'Iran, etc..., et les protagonistes ont des noms à coucher dehors, ce qui n'aide pas forcément à comprendre des intrigues parfois assez intriquées.
Les femmes ne sont pas les seuls à prendre : plusieurs chapitres raillent les doctes charlatans qui essaient d'expliquer par des théories fantaisistes le fait que les bijoux parlent, les querelles ecclésiastiques qui en découlent, les escrocs qui vendent des "étouffoirs" censés empêcher les bijoux de parler, etc...
De son présupposé, Diderot tire bien des situations cocasses, qu'il serait trop long d'énumérer. Différents types de femmes sont portraîturées : celle qui est folle de ses chiens ; celle qui joue et couche pour régler ses dettes ; la fausse dévote ; la noble qui couche avec son jeune page plutôt qu'avec son barbon de mari. Il y a aussi beaucoup d'idées barrées : Mangogul fait parler une jument et envoie la transcription à.... Gulliver, qui grâce à ses aventures a les moyens de traduire et retrace une série d'infidélités. Egalement le passage où le sexe d'une aventurière qui a traversé toute l'Europe y passe : si le passage en français reste convenable, ceux dans d'autres langues (anglais, latin, italien) versent allègrement dans le pornographique.
Le récit est entrecoupé de plusieurs séries de rêves de Mangogul, qui ont souvent une portée allégorique, comme celui où il est porté par un hypogriffe jusque dans un château qui vole tout seul dans le ciel, celui des Hypothèses, château qui finit complétement détruit par un géant, l'Expérience.
Mais le livre ne se finit par sur un Cosi fan tutte ! pour autant, ce qui est galant de la part de Diderot.
En effet la favorite de Mangogul a demandé à ce dernier de l'épargner de l'épreuve du bijou (elle est une des seules dans la confidence). Mais ce dernier profite d'un moment où elle est évanouie pour lui faire passer le test, et il s'avère qu'elle n'aime que lui et lui est fidèle. Se sentant idiot, Mangogul rend le bijou au génie.
C'est un ouvrage mineur de Diderot, une fantaisie bigarrée assez osée, mais dont le contenu porte moins que La religieuse, car l'ouvrage tire un peu sur tout ce qui passe à sa portée. Et même l'écriture est un peu moins jouissive que celle de Jacques le fataliste. J'aime bien le couple de bourgeois éclairés que forment Mangogul et Mirzoza, la tendresse dont ils font preuve l'un envers l'autre tout en se lançant de légères piques, c'est ce qui m'a le plus touché.
Ha, et sinon Diderot a probablement inspiré un des monuments du porno français : Le sexe qui parle