"Et j'vis comme une boule de flipper, qui roule..."

Née en 1992 d’un père français et d’une mère sud-coréenne, Elisa Shua Dusapin grandit entre Paris, Séoul et Porrentruy. Diplômée en 2014 de l’Institut littéraire suisse de Bienne (Haute École des Arts de Berne), elle se consacre à l’écriture et aux arts de la scène, entre deux voyages en Asie de l’Est.

Les billes du pachinko est son deuxième roman après le remarqué Un hiver à Sokcho

Claire, bientôt la trentaine, passe l’été à Tokyo chez ses grands-parents. Ces derniers tiennent une salle de pachinko, ces salles de jeux bruyantes, à la mauvaise réputation, où il faut mettre le plus de billes à certains endroits. Ses grands-parents ont quitté leur pays natal pendant la guerre de Corée, ils se sont intégrés tant qu’ils ont pu dans le Japon. Claire donne des cours de français à Mieko, une petite japonaise.

On y retrouve les thèmes chers à l’auteur. Le thème de la filiation est très important, entre Claire et ses grands-parents, mais aussi avec Claire et Mieko qui vont devenir presque des sœurs. La famille est un élément central, un lien obligatoire souvent entre des personnes qui s’apprécient sans vraiment se connaître ou se comprendre.

Tout cela se fait avec une forte coloration asiatique, cette fois axée sur le Japon, avec un pan sur sa culture, dont le pachinko. La Corée reste présente, mais en même temps absente : c’est le pays des origines, de ces racines mais lointaines. Les deux premiers romans d’Elisa Shua Dusapin partagent la description de l’Asie des gens simples, besogneux, avec un sens du travail qui confine presqu’au sacrifice.

De cet univers asiatique et de celui des frontières, découle aussi celui de l’identité, entre l’étranger et le local, qui on est quand nos racines s'emmêlent entre le passé et le présent. La question du métissage est très présente, qui demande un autre regard sur l’identité.

Comme dans le précédent livre, on suit les questionnements d’un personnage féminin aux alentours de la trentaine, toujours énoncés avec une grande simplicité, et sur ses liens avec les personnes qui l’entoure. Elle vit sa vie avec une fausse légèreté, mais dont l’auteur fait bien ressentir certaines de ses réflexions les plus profondes sans même avoir besoin de les faire ressentir.

Une nouvelle fois, on retrouve dans l’écriture d’Elisa Shua Dusapin, une certaine délicatesse, un flou fantomatique sur les intentions réelles, sur les envies de ses personnages. Il y a le choix des mots, et la concision qui va avec, pour nous faire vivre ses caractères mais aussi le décor qui les anime.

Télérama la compare à Yoko Ogiwa, et il y a de la beauté dans les deux œuvres. Une beauté qui va à l’essentiel, pour des livres vaporeux mais captivants. Dans des cadres concrets, des décors urbains ou campagnards, des considérations humaines, mais une poésie certaine, ou comment rendre beau le quotidien.

Ce fut aussi l’un des rares romans de la rentrée littéraire de 2018 qui ne soit pas dans le drame ou le tragique. Le roman n’est pas vraiment joyeux, tout au plus doucement mélancolique. Mais il n’a pas besoin d’évènements dramatiques pour exister.