Cela fait un moment que je voulais le lire celui-là. Une bonne pioche et hop!
Je voulais le lire parce que je voulais me faire ma propre opinion face à ce texte qui (même s'il n'a été lu que par peu de personnes en fait et je serais curieux de connaître le nombre de ventes) a fait du bruit en ce qu'il a été jugé provocant par de nombreuses personnes et reçu à l'extrême gauche comme un des fondamentaux dans ce qui se fait de pensée dite décoloniale, intersectionnelle.
Houria Bouteldja est une des fondatrices du PIR, mouvement connu pour ses prises de position qui évoquent souvent une sorte de racisme inversé, une mise en accusation de l'occident de tous les maux de la terre.
Je voulais me faire une idée et je dois dire que je n'ai pas été déçu: j'ai plus qu'à mon tour écarquillé les yeux devant les idées de l'auteur.
Le texte est divisé en plusieurs parties:
Fusillez Sartre!
Vous les Blancs
Vous, les Juifs
Nous, les Femmes indigènes
Nous, les Indigènes
Allahou akbar
Le premier chapitre évoque la figure de Sartre qui malgré ses prises de position anti-coloniales, de par son soutien à Israël, finalement n'est pas une figure sur laquelle les descendants des populations immigrées peuvent s'appuyer. Elle préfère de loin un Genet qui tente de "déconstruire" le Blanc.
Dans cette partie, elle mélange beaucoup de choses. Elle est assez confuse en s'appuyant sur Genet: "Parce que voyez-vous, la France occupée, c'était bien aussi une France coloniale, n'est-ce pas? La France résistante, c'était bien aussi celle qui allait répandre la terreur à Sétif et Guelma un certain 8 mai 1945, puis à Madagascar, puis au Cameroun? "Quant à la débacle française, c'était également celle du grand état-major qui avait condamné Dreyfus, non? Car certes, il y a le conflit de classe mais il y a aussi le conflit de race"
Assimiler ainsi une dans une histoire complexe "la France", l'armée en étant un grand tout dans un histoire complexe, c'est assez non seulement simpliste mais de mauvaise foi.
Dans "Vous les Blancs", elle s'adresse aux "Blancs" donc à moi substantiellement en m'indiquant que je suis un complice de mon héritage colonial, que je suis assimilable au grand tout, à une France indéfinissable qui oppresse le monde postcolonial (anciens pays et descendants d'immigrés mis ensemble)
Dans Vous les Juifs, elle considère que les Juifs sont en quelque sorte les complices des Blancs en tant qu'ils sont la mauvaise conscience à travers la mémoire spécifique la Shoah de la domination des "colonisés", à travers le soutien à la création d'Israël.
"Vous avez abandonné le combat "universaliste" en acceptant le pacte racial de la république: les Blancs, comme corps légitime de la nation en haut, nous, comme parias en bas, et vous comme peuple tampon au milieu" (les juifs comme idiots utiles du racisme d'Etat, il fallait oser.)
Et avec un couche d'essentialisme au milieu: "La parole des colonisés est dense. Elle est puissante. Elle ne ment pas."
Une interprétation plus qu'abusive de la loi Crémieux
Et avec, au milieu, des erreurs factuelles historiques: " Vous apatrides? Vous qui viviez en Pologne, n'étiez-vous pas polonais? […]". Où Houria Boutedjla a-t-elle lu que les juifs polonais n'étaient pas des sous polonais. Toute la littérature le prouve. toute l'histoire polonaise montre qu'avant guerre et après-guerre la Pologne a toujours un fond antisémite, ne considérant pas les juifs polonais comme des Polonais...
Dans "Nous les Femmes indigènes", de par une intersectionnalité plus que questionnante, l'auteur fait défense d'une masculinité post-coloniale allochronique, rendant l'occident responsable d'une essence dévoyée de cette masculinité reprenant les mots de Paola Bacchetta: "les colonisateurs n'ont pas seulement imposé leurs propres notions de genre et de sexualité à des sujets colonisés. L'effet de cette imposition a été d'empirer notablement la situation des femmes et des minorités sexuelles". Toute cette oppression étant responsable de de la perte d'une sorte de paradis perdu des relations hommes/femmes chez les anciens colonisés. Aucune référence scientifique...
Dans le chapitre suivant, encore beaucoup de critiques à faire mais à remarquer cette utilisation positive d'une citation de Zhou Enlai (partenaire des exactions communistes de Mao.)
Et dans le dernier chapitre, valorisant l'Islam comme une réponse à la perte de valeurs d'une société occidentale matérialiste, parole de bigote, certains extraits ne seraient pas reniés par Finkielkraut...
Comme si cette notion de transcendance n'était pas discutée depuis longtemps. Et n'est pas, par exemple, concrétisée autrement dans des cultures orientales. Cela met juste en avant les difficultés culturelles face à la sécularisation de la société.
Beaucoup de choses à critiquer. Je n'ai pas le temps pour être exhaustif mais quelques remarques pour terminer.
Que faire des données nous disant que la France a le plus fort taux de mariages mixtes au monde?
Elle incrimine les "blancs" (holisme ontologique) faisant fi des libertés individuelles, du libre arbitre, vision quasiemtn religieuse d'une faute première, d'une faute originelle dont nous serions tous porteurs malgré nous. Le sacrifice, la flagellation, la confession des péchés comme seule solution?
Elle considère les enfants des pays colonisés comme des blancs s'ils s'intègrent. Quelle issue possible?
Que dire sinon que le temps des individus n'est pas celui de l'Histoire
Même si elle dit que son combat peut faire le jeu de l'extrême droite, si elle est conséquentialiste, ne devrait-elle pas changer de modalité?
A décrire le féminisme en France comme celui de bourgeoises blanches (Groult, beauvoir...), c'est encore faire du séparatisme culturel.
Si elle indique en préface le fait que les catégories de "Juifs", "Blancs", "femmes indigènes", "indigènes" sont des catégories sociales comme "ouvriers" (ou "femme" ahahaha") , cela ne fonctionne pas. Cela ressemble à une précaution rhétorique, parce que en le lisant, aucune construction sociale n'est explicitée et l'apposition des couleurs ou du mot "race" n'évoque que des personnes essentialisées...
Elle reprend le mythe d'une immigration nord-africaine qui aurait été cherchée pour reconstuire la France après 1945. or, les chiffres parlent d'eux-même:
Houria BOUTEDLDJA - Les Blancs, les Juifs et nous
Elle vante un discours d'Ahmadinejad sur l'homosexualité (elle ne dit pas qu'elle est d'accord) comme une réaction légitime au discours dominant occidental. Quel est l'intérêt? à part pour la provocation? "Normalement, je dois saisir ce moment du récit pour rassurer: "Je ne suis pas homophobe et je n'ai pas de sympathie particulière pour Ahmadinejad". je n'en ferai rien. Là n'est pas le problème. La vraie question c'est celle des Indiens d'Amérique. ma blessure originelle" Elle en fait un discours politique international, reprenant Fanon "Le manichéisme du colon produit un manichéisme du colonisé". Le discours est alors complètement incompréhensible: provocation? valorisation? identification? justification car réaction?
Elle place le capitalisme comme moteur de la domination, de la colonisation mais n'oublierait-elle pas les dominations antérieures (arabo-musulmanes au Maghreb par exemple), l'esclavagisme par les mêmes civilisations arabes? Tout ceci est fondé sur une vision simpliste de l'Histoire, orientée idéologiquement où elle ignore que ce sont les possibles qui rendent les conquêtes et les dominations réalisables. Relire peut-être Jared Diamond et son fantastique "De l'inégalité parmi les sociétés".
Elle se sent compromise dans son essence d'indigène, d'allochtone. Elle veut refaire l'Histoire? Ne sent-elle pas la vanité d'un tel propos? N'y a-t-il pas de meilleurs moyens pour parvenir à la satisfaction?
Un essai malsain, non argumenté (utilisant même une fois un extrait d'un roman), faisant montre d'une méconnaissance de l'Histoire et totalement contre-productif.
P.S: j'avais oublié un point étonnant. tout doit se faire selon cette grille de lecture (oubliant toute complexité): "Soeurs puis-je vous proposer de prolonger la réflexion de baldwin? C'est bien l'expansion du capitalisme à travers le monde qui a exporté les systèmes politiques, les conflits qui structurent le monde blanc entre la gauche et la doite et entre progressistes et conservateurs, les Etats-nations, les langues, les modes de vie, les codes vestimentaires, les épistémologies, les structures de pensée..."
Même l'épistémologie (condition de la démarche scientifique) considérée comme occidentale est réfutée... Houria Boutedldja nie la pertinence de la démarche scientifique... J'en reste comme deux ronds de flan...