Pas inoubliable, mais prenant.
Quand on pense à Philip K. Dick, on pense "Ubik", "Loterie Solaire", "Rebrousse Temps", ou "Blade Runner". Les plus passionnés ergoteront sur ce dernier titre d'ailleurs, plus marrant et contrasté que le titre du film éponyme: "Les Androïdes Rêvent-ils de Moutons Électriques ?"
Mais malgré ces petits bijoux de littérature Fantastique, l'auteur a laissé quelques petites perles méconnues ici et là, dont ce recueil de quatre nouvelles. Très orientées science-fiction, j'ai été très agréablement surpris par la teneur de ces petites tranches de Littérature.
Après une mise en bouche franchement sympathique avec les "Braconniers du Cosmos", et malgré une chute très prévisible, le reste du recueil augure une lecture plus qu'agréable. Dans les faits, l'auteur virevolte entre une histoire brinquebalante qui fait sourire par son côté kitsch (Colonie) et une sorte d'ode à la différence, intéressante sur le fond mais un peu décousue, (Souvenir) avant de s'ouvrir sur un final remarquable. (L'homme Doré)
Mais je reviendrai sur cette dernière nouvelle en fin de critique, regardons plutôt ce que donne les trois premières. À la fin de la troisième, j'avais passé un bon moment de lecture. Les nouvelles sont dynamiques, bien écrites et de plus en plus piquantes. Mais rien de franchement extraordinaire si on a déjà lu d'autres oeuvre de Philip K. Dick ou d'auras piliers de la Littérature Fantastique. On sent bien sur la patte des excellents écrivains, avec une forme maîtrisée à la perfection, (le livre se dévore) mais je restais sur ma faim car il manquait un petit quelque chose pour donner dans l'excellence. Les chutes sont prévisibles et même si le style est fluide et très agréable à lire, on n'atteint pas non plus la maestria de "Les Androïdes rêvent-ils de Moutons Électriques", qui mêle avec brio une trame Fantastique de haut vol avec plusieurs sujets de société politiquement incorrects. La réflexion qui se dégageait du livre lors de ma lecture me faisait espérer beaucoup de l'auteur, et pour le moment force était de constater qu'on en était loin.
D'un autre côté, il faut comparer ce qui est comparable. Ce sont des nouvelles et qui plus est, publiées en 1953 et 1954. En plus d'un format spécifique d'écriture, on s'inscrit également dans une période historique délicate et très tendue: on sort de la Seconde Guerre Mondiale. Le plan Marchall commence à faire grincer outre Rhin, la Guerre Froide arrive tout doucement avec son courant de suspicion (Mac Carthysme) et la Communauté Noire fait des Vagues dans le Sud Xénophobe des USA. La société Américaine bouge, grogne, et tombe doucement dans les pires extrêmes. On comprendra donc qu'il est délicat pour un écrivain de rentrer dans le tas sans un minimum de précaution.
Ces nouvelles ont donc pour principale fonction de divertir, mais on sent poindre les amorces d'une réflexion sucrée-salée dans les 91 pages de ce livre, et c'est quoi qu'on en pense plutôt intéressant à lire et à replacer dans le contexte. Mais il est quand même difficile de s'affranchir de la force de frappe subjective et intellectuellement très pointue de l'auteur quand on le connaît. C'est donc ce qui me laisse un peu déçu à ce point de ma lecture, tout en me forçant à mettre un peu d'eau dans mon vin.
Car il ne faut pas faire de comparaisons malheureuses. Si aujourd'hui une histoire comme "Colonie" fait sourire avec son côté kitsch et franchement série Z, je doute que dans les années 50 cette analyse tienne la route. L'histoire a eu un impact non négligeable sur les mentalités fermées et protectionnistes de l'époque. Par ailleurs Philipp K. Dick n'en est qu'à ses débuts, et avec ce que j'ai lu, ça n'est pas surprenant de voir pourquoi il a eu tellement de succès.
Replacées dans le contexte, on doit reconnaître à ces nouvelles un avant-gardisme notoire pour les sujets traités aussi bien que pour la volonté de placer quelques coups de pieds dans la fourmilière puritaine Américaine, et ce d'autant plus qu'il est Blanc.
"Souvenir" fait par exemple directement référence à la lutte de la communauté Afro-Américaine pour sa reconnaissance aux États-Unis à la même période. Un thème que je commence à trouver récurrent chez K. Dick, mais qui pose ici une pierre angulaire de ses prises de positions politiques, qui sont plutôt courageuses vu la violence des débats d'alors.
Pour avoir également lu et apprécié cet auteur auparavant, je ne peut donc que reconnaître un essai intéressant par rapport au format littéraire et à la période de publication.
Et puis vient enfin l'excellent "L'homme Doré". Cette nouvelle met tout le monde d'accord, car l'auteur y propose un fond comme une forme de qualité. Plus précisément, il aborde le thème de la mutation de l'espèce humaine, et prend le contre-pied de nos fantasmes collectifs de mutants surhommes pour les confronter à la théorie de l'évolution de Darwin, ainsi qu'à sa théorie de la Sélection Naturelle.
Pur produit de réflexe et dadaptation, l'Homme Doré s'adapte sans efforts apparents et sans relâche. Sa seule fonction est de s'adapter. Face à une humanité qui a atteint son dernier stade d'évolution et qui en a peur de disparaître, la lutte pour la survie des deux espèces est très bien mise en avant, et vu la teneur et la qualité de l'histoire, je vais éviter de spoiler. Par contre je peux vous garantir une lecture extrêmement plaisante et une réflexion de qualité.
Bref, si l'ensemble de ce recueil s'avère relativement moyen, la dernière histoire vaut largement le détour pour la qualité d'écriture comme pour la réflexion qu'elle suscite. Les autres nouvelles sont bien écrites et à défaut d'y trouver la profondeur des oeuvres majeures de Philip K. Dick, remplissent malgré tout leur fonction de divertissement.
Donc pas d'hésitations, LISEZ-LE !