Erich-Maria Remarque est un romancier que je lis et pratique avec ferveur depuis l'adolescence. Un livre de cet auteur doit obligatoirement être dans mon Top 10. Mais le problème (cornélien) est de choisir le roman qui va le représenter entre "A l'ouest rien de nouveau" (la guerre de 14-18), "Un temps pour vivre, un temps pour mourir" (la guerre 39-45), "Arc de triomphe" (l'exil clandestin à Paris d'un chirurgien renommé après l'accession d'Hitler au pouvoir), "les exilés" (la difficile vie de deux jeunes gens exilés et apatrides en France et en Suisse), "les camarades".
La note n'est pas discriminante car elle sera à 10 pour chacun de ces livres. Le nombre de relectures n'est pas discriminant non plus car je les ai lus plusieurs fois en cinquante ans.
Mon choix s'arrête donc sur "les camarades". C'est le meilleur compromis. Aujourd'hui.
Le roman raconte la vie de trois jeunes qui se connaissent de longue date et ont miraculeusement survécu aux tranchées (côté allemand). Ce sont des "camarades" d'école puis de guerre…
Le roman démarre après la guerre et la défaite jusqu'à grosso modo les tout débuts d'Hitler au pouvoir. Les survivants des tranchées paraissent suspects aux yeux des gens de ne pas avoir fait ce qu'il faut pour que l'Allemagne gagne la guerre. Et ces survivants, devenus profondément pacifistes, sont également suspects aux yeux des nazillons qui arrivent lentement et sûrement au pouvoir. Mais ils ne cachent pas leur bonheur car ils n'en reviennent toujours pas d'avoir survécu.
Ce roman est un extraordinaire et bref instant de bonheur absolu entre une liberté retrouvée même si les conditions matérielles sont difficiles (la dégringolade du mark liée à la dette colossale d'une Allemagne ruinée …). Les trois amis montent un garage de réparation automobile dont les affaires sont toujours un peu sur le fil du rasoir. La liberté se traduit aussi par les rencontres éphémères dans les cafés avec une population de gens qui se débattent parfois dans une misère physique et morale dont le souci est d'oublier les mauvaises années que ce soit dans l'alcool ou les femmes. Ainsi apparaissent lentement les fractures de la société allemande alimentées par les poisons nationalistes, nazis ou communistes.
En fait pour être précis, le groupe des trois hommes s'enrichit de deux autres personnages, une jeune fille Pat qui a vécu des années de guerre et de juste après-guerre complexes et de Karl, un vieux véhicule dont le moteur a été refait et boosté qui devient un personnage assez central du roman. Le narrateur et Pat vont tomber éperdument amoureux et les deux amis du narrateur vont tout faire pour protéger cet amour qui apparait comme un véritable miracle porteur d'espoir fou dans une telle période.
Mais les jours passent et les idéologies pernicieuses commencent à perfuser à travers la population qui y voit une amorce de (mauvaise) solution. Le groupe d'amis n'en sortira pas indemne.
Les jours passent et Pat tombe malade et doit partir en sanatorium. Les amis se mobilisent pour trouver l'argent nécessaire. Seul l'amour de Pat et du narrateur reste un joyau inaltérable au milieu d'un monde qui se délite peu à peu.
Le roman est imprégné d'une poésie âpre et désespérée. Le "bref instant de bonheur absolu" est appelé fatalement à se terminer.
Ce roman qui est très long (750 pages en deux tomes en Folio) est un condensé de l'œuvre de Remarque mais contient aussi de probables souvenirs personnels de Remarque qui, au retour des tranchées, a beaucoup galéré et fait de nombreux métiers avant de faire sa place dans la société allemande et surtout d'en être viré par les nazis.
Le roman a fait l'objet d'une adaptation au cinéma sous le titre "Three Comrades" par Franck Borzage dont je ferai la critique sur SC prochainement.
C'est un roman poignant qu'on a du mal à laisser une fois qu'on l'a en main.