Les Cenci est une pièce de théâtre conçue en 1935 par Artaud, et constitue l'une de ses relativement rares tentatives dans le milieu de la dramaturgie pour un homme que l'histoire littéraire aura retenu comme un théoricien important de la forme théâtrale. Se basant sur un fait divers ayant secoué la société romaine à la fin du XVIe siècle – mais plus encore sur les versions qu'ont pu en donner Stendhal et Shelley –, la pièce raconte l'histoire d'un noble des états papaux, le vieux comte Cenci, qui finira assassiné par sa fille Béatrice qu'il a violée au cours de sa recherche des plaisirs noirs.
Les Cenci est un diesel. On commence doucement par une illustration en badinage assez convenue du cynisme des grands, pour lesquels tout s'achète et tout s'arrache quand cela n'est pas possible, avant d'évoluer vers une tirade luciférienne du vieux comte qui finira de mettre en place le vrai canevas de la pièce. Les dialogues comme leurs effets sont assez dépouillés, assez secs, l'intrigue est resserrée autour de quelques personnages fonctionnels qui délivrent tous frontalement la grande préoccupation qu'ils ont à illustrer. Le vieux comte cherche à combler par le mal l'errance spirituelle que lui confère son nihilisme, Béatrice est une proie ambiguë qui se débat contre la prédestination, Camillo représente les compromissions de la pragmatique qui permettent à la société de tourner.
On pourrait être surpris, connaissant l'outrance bizarre d'Artaud, de constater la globale simplicité du texte ; ce serait sans doute en glissant trop vite sur quelques tirades particulièrement bien senties où l'auteur arrive à parfaitement retranscrire ses hésitations face à la transcendance dans la bouche de personnages perdus en recherche d'une métaphysique pour les sauver de leur animalité. La réplique en hypotypose du rêve de Béatrice, qui l'installe dans un rôle douteux de victime presque volontaire, est absolument remarquable d'étrangeté inquiétante. La fin dans la prison, toute précipité qu'elle puisse paraître, est extrêmement réussie dans sa sécheresse médiévale.
Dans l'ensemble, ça ne décape tout de même pas des masses. On a parfois l'impression, peu agréable quand on apprécie d'autres travaux d'Artaud, d'être plus chez Cocteau que chez l'auteur d'Héliogabale. On ne retrouve que très peu en friche des tentatives d'exploiter la recherche qui sera plus tard appelée dans le théâtre et son double et dans le théâtre de la cruauté. On a bien un peu de ces personnages qui tentent d'échapper au vide de leur corps sans être bien sûr d'y parvenir, et qui ont besoin pour ça de maltraiter la partie animale qui leur reste attachée dans cet espèce de dualisme dont la dramaturgie devrait permettre la mise à mort sur scène, mais tout cela n'est encore que très esquissé.
Je m'attendais à beaucoup plus piquant ou audacieux.