Lire Les cercueils de zinc au moment où la guerre entre la Russie et l’Ukraine fait rage est une expérience douloureuse.
Le livre, qui n’est pas un roman, se présente comme une suite de témoignages de Russes ayant été envoyés en Afghanistan. Ils se succèdent ad nauseam, bruts, révélant la voix unanime d’un peuple trompé par son gouvernement, parti parfois avec de belles intentions patriotiques ou humanitaires mais vite plongé dans la négation de toute idée, la déshumanisation et l’horreur.
De l’infirmière au simple soldat, du gradé aux mères qui nous racontent l’enfance de leur fils revenu auprès d’elles dans un cercueil de zinc, tous témoignent d’un état trompeur, manipulateur, habile dans toutes les méthodes qui poussent un individu à voir dans la guerre une solution, ce qu’elle n’est jamais. Parfois, les cercueils ne contiennent rien, il n’y a rien à rapatrier de cet homme parti parfois contre son gré, parfois volontairement, mais toujours habité par des idées fausses sur ce qu’est la guerre. La réalité, c’est qu’elle déshumanise, qu’elle nie l’homme, qu’elle le fait disparaitre, même concrètement.
Comment des hommes éduqués, au 20 ème siècle, peuvent-ils encore aller se faire tuer et aller tuer des femmes, des enfants ? Il y a bien eu quelques jeunes inconscients sans conscience morale et avides de reconnaissance et d’héroïsme qui reviennent brisés et à jamais perdus pour la société et pour eux-mêmes, mais la grande majorité a été manipulée par des idées comme celle du devoir civique ( beaucoup disent qu’ils sont allés « remplir leur devoir international ») ou en croyant de bonne foi, pour les plus naïfs, qu’ils allaient apporter la civilisation à un peuple encore arriéré, suivant en cela la propagande que diffusaient des reportages montrant des soldats russes planter des arbres, participer à des cérémonies pour la paix et être accueillis à bras ouverts par des afghans reconnaissants. La réalité était tout autre.
A travers les témoignages, un peuple s’exprime, avec son histoire particulière qu’on doit bien comprendre au lieu de crier au fou en parlant de Poutine.
« Personne ne se demandait si c’était une cause juste. Nous avons fait ce qu’on nous avait ordonné de faire. Notre éducation, nos habitudes le voulaient. Bien sûr, maintenant on a tout reconsidéré, tout a été pesé dans la balance du temps, les souvenirs, l’information, la vérité qu’on nous a révélée. Avec un retard de presque dix ans ! A l’époque nous n’avions que l’image de l’ennemi que nous connaissions par les livres, l’école, les films sur les basmatchis. J’ai bien vu cinq fois le film Le soleil blanc du désert. Le voilà, l’ennemi ! Nous avons fait le plein sous ce rapport. Notre seule expérience morale, c’était la guerre ou la révolution, nous n’avions pas d’autres exemples. » (p.150 ED.Babel)
L’éducation et l’histoire d’un peuple sont essentiels. En Russie, il y avait l’ « éducation politique » qui enseigne qu’il faut défendre son peuple, ce qui est louable, mais seulement quand il est en danger, et qui enseigne aussi qu’on a le devoir de porter assistance aux peuples amis, ce qui est louable, mais seulement quand ce peuple le demande – et sous certaines conditions. Aujourd’hui, nous assistons à une forte manipulation des médias ( qui peut croire au manichéisme qu’on nous assène à longueur de temps ?) et l’Education Nationale a volontairement baissé le niveau d’éducation … lire Svetlana Alexievitch, prix Nobel en 2015, est une nécessité pour rester lucide.
Car les événements récents nous prouvent que le communisme n'est pas mort. Il ne demande qu'à s'étendre. On peut même voir en France certains individus en défendre l'héritage sans même un instant imaginer qu'ils portent en eux une responsabilité dans les morts que cette idéologie a entraînés, entraîne et entraînera, bien au chaud dans leur démocratie européenne, à envoyer leurs vieux vêtements en Ukraine. Alors, on peut imaginer ce que ça peut donner en Russie...
Voilà ce qu'écrivait en 1994 un des membres de la société russe de la paix à l'occasion du procès intenté contre l'auteur pour avoir révélé la vérité de la guerre:
"Ce livre ( Les cercueils de zinc) pose la question de savoir si on a le droit de sacrifier des vies humaines sous couvert de souveraineté et d'obligations de grande puissance. Au nom de quelles idées des gens meurent-ils en Azerbaïdjan, en Arménie, au Tadjikiitan, en Ossétie?
Et à mesure que croissent des idées pseudos-patriotiques basées sur la violence, nous assistons à une renaissance du militarisme; on attise les instincts agressifs, on se livre à un criminel commerce d'armements, le tout accompagné de belles paroles sur les réformes démocratiques dans l'armée, le devoir militaire, la dignité nationale. Les déclarations fracassantes de plusieurs politiciens en faveur de la violence révolutionnaire et militaire, voisines des idées du fascisme italien, du national-socialisme allemand et du communisme soviétique, sèment la confusion dans les esprits, préparent le terrain à un regain d'intolérance et d'animosité dans la société."