«C'est en subissant la loi de tels petits faits obtus que l'enfance bascule, morceau par morceau, dans la lente décomposition du vivant.»
Les champs d'honneur de Jean Rouaud n'est pas un simple roman écrit pour le plaisir du lecteur. Loin du simple livre de loisir c'est l'Histoire qui vous est ici comptée sur un fond de guerre. Il ne s'agit pas d'une Histoire ennuyante mais d'une Histoire qui vous entraîne à ses côtés tel un voyage dans le temps. Alors accrochez vous et laissez vous émerger dans cette aventure familiale où se mêle histoire et Histoire.
Certes, on nous vend bel et bien un livre de guerre donc oui, elle est présente. Mais pas comme dans tous ces romans de guerres que l'on trouve habituellement. Comme un tableau elle est là, en fond, elle revient constamment à nous, c'est notre point commun à tous. Les champs d'honneur est un livre fait d'histoire et d'Histoire qui se mélangent quelque fois. Il s'ouvre sur la pluie, personnage à part entière et omniprésent. Cette pluie met en place une certaine réalité dans les paroles de l'auteur, sa façon de décrire les éléments qui nous entoure font que le lecteur se sent comme chez lui. Autre élément que la pluie, il y a aussi cette fumée qui apparaît vers la fin du roman et qui s'immisce de plus en plus dans le récit et de ce fait, en nous. Cette fumée, c'est la fumée des camps d'extermination. C'est avec cette fumé que la guerre est la plus présente dans le roman, comme l'un des facteur essentiel de l'horreur de la guerre. Mais vous l'aurez compris, plus que la guerre, c'est l'histoire de tout un chacun qui est ici racontée. C'est l'effet de la guerre sur chaque petit bout de vie. Car directement ou indirectement nous avons tous un lien avec la guerre. Nous n'avons pas tous vécu directement la guerre, mais chacun de nous a un lien avec celle-ci ne serait ce que la mort.
Cette mort est le centre de tout et surtout, l'unique point commun de tout être. Jean Rouaud accorde beaucoup d'importance à la poésie de ses paroles, il fait de la guerre quelque chose de beau, de touchant au travers d'une famille dans laquelle on se sent bien. Les souvenirs d'enfances sont là pour ça, la nostalgie prend le dessus. L'insouciance des enfants qui ne connaissent encore rien de la vie. Ce qui force l'admiration c'est le réalisme qu’insère Jean Rouaud dans son œuvre. Vous vous laisserez guider, au travers d'un nuage de pluie omniprésent au début du livre qui va très vite se transformer en nuage mortel. Car oui, si l'insouciance de l'enfance est une belle chose, la mort finit toujours par reprendre le dessus. Ces morts qui construisent le roman arrivent non pas comme des électrochocs mais comme une fin banale en soit mais surtout universelle même si elle est injuste. Il ne faut pas non plus penser qu'il s'agit là d'un livre larmoyant. Les descriptions sont touchantes certes mais l'ouvrage ne manque pas d'humour. Un humour simple et guilleret qui vous fait sentir comme à la maison. Cependant il faudra s'accrocher pour pleinement profiter de ce roman, la narration circulaire qui le compose diffère des schémas narratifs habituels et peut donc être déstabilisante au premier coup d’œil. Cette narration circulaire qui pourrait représenter le chaos de la mémoire apparaît comme un enivrement de souvenirs, l'esprit qui divague. Enivrer c'est le mot qui définit le mieux ce roman, il nous enivre dans cette narration en tourbillon qui nous fait tous retomber au même point, celui de la mort, même déterrés nous retournons sous terre. Car il est vrai qu'on se sent entouré par ce roman, il nous colle à la peau. L'exactitude des sentiments décrit par l'auteur nous rattrape toujours, ce livre apparaît comme une réalité à part entière. C'est un livre indéniablement poétique, un livre circulaire qui nous offre une vision à 360° du monde dans lequel l'auteur nous place. On se sent comme un personnage faisant partie de cette famille, on entre dans leur vie privée et on s'y sent comme chez nous. C'est ce qui fait la force de ce roman, on s'y sent bien malgré la guerre. Tout est lié dans ce roman et tout se mélange, l'histoire et l'Histoire, les générations et les mémoires. L'exemple parfait étant celui de la grand-mère qui dans ses délires de fin de vie mélangera histoire personelle et Histoire.
En ouvrant ce livre, vous ouvrirez votre mémoire. Il a une mission qui n'est pas des moindres, celle du souvenir. En effet, ce roman nous rappel qu'il ne faut pas oublier, ne pas oublier la guerre, ses soldats et ses familles. Mais aussi ne pas sous-estimer le poids de nos histoires personnelles dans l'Histoire avec un grand H. Vous ne trouverez pas dans ce livre une échappatoire à votre devoir de mémoire. Non ce livre ne vous permettra pas de vous sentir serein en lisant des atrocités de guerre, en vous disant qu'heureusement, les auteurs sont là pour écrire sur la guerre et s'en rappeler. Notre devoir à nous est de ne pas oublier. Ce roman vous interdira d'oublier, il sera là pour vous rappeler. C'est une peinture du passé, le passé de l'auteur et du votre. Donc si vous souhaitez un livre racontant la guerre différemment des autres romans, si vous aimez la poésie et les histoires de famille, alors ce livre est fait pour vous.