C'est le premier ouvrage que je lis de Catherine Dufour, connaissant déjà cette autrice par sa participation à de nombreuses balladodiffusions . Et je ne peux dire que je n'ai pas été déçu. Nous avons pour narratrice - derrière laquelle se "cache" l'autrice - El Jarline, une habitante de la Lune. Est-elle humaine? Est-elle une cyborg? Est-elle une mutante née du "génie génétique"? Le lecteur n'aura jamais de réponse. Mais ce que l'on sait, c'est qu'elle est chargée d'entretenir des champs, leur faune et leur flore, situés sur la lune, mais sous cloche.
On ne peut qu'être soufflé par le travail de documentation relatif à l'environnement lunaire fait par l'autrice. Cette dernière dit avoir eu l'idée de ce roman à la suite des propose d'un certain milliardaire américain d'origine sud-africaine trouvant à l'Apartheid d'excellents côtés: l'existence de blancs se prélassant au bord de leur piscine alors que leurs domestiques noirs vivent dans des township. Ce dernier n'a qu'une envie, c'est d'envoyer l'homme blanc sur Mars pour qu'il y créé une société de suprémacistes, machistes et dégénérés à l'image du futur président des Etats-unis qui a pour slogan 'Make Russia great again". Nous sommes vraiment en dystopie. . Catherine Dufour balaie d'un revers de la main ce cauchemar en décrivant des pistes de décollage laissées à l'abandon où seuls des robots dameurs se croisent et s'entre-croisent.
Comme Mars, la Lune est un astre rocheux, émanation de la Terre on ne sait comment. Elle est morte, c'est-à-dire qu'elle ne dispose pas d'une atmosphère qui permettrait de se protéger des rayons cosmiques.Toutefois, elle dispose de tubes de lave assez larges pour accueillir une population humaines ainsi protégée des rayons durs du soleil. Ainsi, elle devient en quelque sorte une planète B à la suite de l'extinction de la vie sur Terre qui n'est pas expliquée explicitement. Or, cette "planète B" s'avère être un piège mortel pour ce qui reste d'une humanité toujours aussi "débile".
On visite à travers le récit d'El Jarline ses pérégrinations sur la lune, le long de ses cratères, de ses mers de sable, de l'océan des Tempêtes. On découvre toute la beauté de notre satellite au rythme d'une écriture poétique, teintée d'ironie acide. Quant à la description des espèces botaniques cultivées par El Jarline, on ne peut qu'être ému par la vision d'un jardin d'Eden voué à disparaître du fait de la bêtise d'une humanité qui ne mérite qu'une seule chose, sa disparition. On peut penser au sujet du film "Silent running" que je n'ai pas personnellement vu.
Le travail d'El Jarline est de soigner les plantes poussant sous un dôme protecteur avec une densité inférieure à celle de la Terre. Elle doit se battre contre la poussée anarchique des arbres avec l'aide d'un chat génétiquement modifié doué de parole. On a ainsi des chiens et des chats qui peuvent communiquer avec l'héroine au cours de ses voyages lunaires. On ne peut que penser au roman Demain les chiens, de Simak. On a ainsi des êtres doués de parole à l'intelligence bien supérieure à celle de la Bête immonde qui souhaite que la France se transforme en République de Gilead.
El Jarline est un personnage marginal qui n'est pas membre à proprement parlé de la cité sous lunaire de Mut. Le lecteur suit l'évolution de sa psyché au gré de ses rencontres, tout en subtilité. Notamment, elle fait la connaissance d'une petite fille violentée par son entourage. Se créer un rapport presque filial. Leur solitude se complète. Malheureusement, cette petite fille disparaît rapidement et amène la narratrice à découvrir le chagrin. El Jarline écrit au demeurant des rapports pour son autorité de tutelle que celle-ci met immédiatement au panier. Aussi, elle renonce pour ne relater que ses impressions sur son évolution psychologique.
On est loin d'une science fiction de conquête qui montrerait la terraformation de la Lune. Le lecture est plongé dans les affres d'une héroine confrontée à une humanité malade. Nous sommes dans une science-fiction anthropologique dans la droite ligne de l'oeuvre d'Ursula Le Guin. L'autrice s'intéresse à ceux qui construisent des routes et des ponts, plus méritants que des génocidaires comme Louis XIV.
El Jarline vit à la surface de la Lune, assez loin des sous lunaires, pour pouvoir avoir sur eux un regard critique; à l'image Des lettres persanes, conte philosophique de Montesquieu du XVIII siècle.