Et le Verbe se fit Chair
« Si un couple amoureux se compose de deux femmes, il est parfait, S’il n’y en a qu’une seule, il est moitié moins bien, S’il n’y en a aucune, il est purement idiot. » Ainsi Pierre Louÿs...
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Un goût du canular, des fantasmes de jeunesse lesbienne déjà à l’œuvre, une culture antiquisante qui ne néglige pas le deuxième, voire le troisième rayons, et surtout une attention constante accordée au style : il n’y avait que Pierre Louÿs pour écrire ces Chansons de Bilitis, « petit livre d’amour antique […] dédié respectueusement aux jeunes filles de la société future » et finalement tendre et doux comme une plume.
Les documents relatifs à l’écriture et à la publication, tels que Jean-Paul Goujon les a réunis et les présente dans la collection « Poésie / Gallimard », montrent à quel point Louÿs, en bon maniaque du contrôle, avait conscience des enjeux de son recueil, c’est-à-dire des écueils à éviter. Donc il les évite. À l’écart de la perspective pittoresque à laquelle s’expose plus d’un roman historique, il n’emprunte pas non plus le chemin de la pornographie pure – il est vrai que l’auteur des Chansons secrètes de Bilitis disposait pour cela d’autres… exutoires ! – et se garde de toute dispersion thématique ou formelle qui nuirait à l’ordonnancement de ces quelque cent cinquante pièces. Voilà pour ce que les Chansons de Bilitis ne sont pas.
Ce qu’elles sont ? Un « roman lyrique » et biographique constitué de sonnets en prose poétique – l’héritage du Baudelaire des Petits Poèmes en prose, adapté pour inventer une poétesse du « commencement du sixième siècle avant notre ère » (c’est dans la « Vie de Bilitis » placée par l’auteur en tête de sa prétendue traduction, p. 31), contemporaine de Sapphô, donc, et semblable quant aux mœurs. On peut certes admirer la qualité du travail de contrefaçon, et se moquer des pseudo-érudits qui donnèrent dans le panneau ; mais ce serait réducteur.
Ce qui rend ces Chansons véritablement réussies, outre la cohérence de leur univers, c’est bien le style. Louÿs a beau tenir du Parnasse le goût pour l’antique et pour la littérature ciselée, la langue de sa Bilitis est à la fois plus souple et plus douce. Tantôt menace de femme jalouse : « Larges yeux de Mnasidika, ne cesse pas de me regarder ! ou je vous trouerai avec mon aiguille et vous ne verrez plus que la nuit terrible » (LXXXIV, p. 120), tantôt pur amour : « Tout, et ma vie, et le monde, et les hommes, tout ce qui n’est pas elle [Mnasidika] n’est rien. Tout ce qui n’est pas elle, je te le donne, passant » (LXXXV, p. 121), tantôt adieu hiératique et désabusé : « En gratitude, à toi qui t’es arrêté [sur ma tombe], je te souhaite ce destin : Puisses-tu être aimé, ne pas aimer » (CLVII, p. 192), la prose de Louÿs / Bilitis exprime la complexité de l’amour tout en suscitant des rythmes d’une incroyable fluidité.
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Créée
le 31 juil. 2018
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