Recueil historiquement complet sur l’œuvre de Ferré, sorti pour les 20 ans de sa mort dans la quasi-indifférence (l'image dépressive et cryptée lui colle affreusement à la peau), ce livre ne peut qu'être incontournable pour tout amateur de ce très grand artiste. Le livre fait presque 2000 pages, et pourtant il rassemble même pas toutes les œuvres écrites de Ferré ("L'Opéra du Pauvre" devrait faire à lui tout seul au moins 50 pages, si il avait été inclus). On y trouve ses toutes-premières chansons écrites le lendemain de la Seconde Guerre Mondiale: style maladroit qui se cherche encore. Je crois que sa rencontre avec Francis Claude l'a vraiment aidé à se lâcher après, car c'est à partir de cet instant-là que son don des paroles décolle, jusqu'à ne plus redescendre. On suit alors son évolution textuelle entre les années 60 (avec Madeleine à la maison), les années 70 (son âge d'or, à tous points de vue), les années 80 (avec Marie-Christine et la Symphonie comme muses) et les années 90 (textes très sages forcément). Oui, Léo a duré tout ce temps-là dans la chanson française, record inégalé à ce jour. Et autant dire que "Les chants de la fureur" a su montrer à quel point le vieux Lion a remis son style en question un grand nombre de fois: libérant sa prose, repoussant les limites du cryptage et du surréalisme, la lecture devient à la fois de plus en plus difficile et passionnante. A condition qu'on accepte le fait qu'on ne comprendra pas tout ("L'Imaginaire" ou "La Méthode"), ou que cela peut prendre des années (comme ce fut le cas pour moi avec "La Solitude" ou "Métamec"). Entre textes compacts et textes fleuves, réflexions et cris d'amour, fureurs et souvenirs, les paroles de ses chansons finissent par tracer un continent artistique extrêmement riches. Entre les différentes périodes du bonhomme, le recueil montre aussi des articles ou des traités philosophiques. Et c'est bouillonnant d'intelligence, genre chaque phrase est un puits de questionnements. Je recommande particulièrement ses Introductions (pour La Folie, l'Exil, et surtout l'Anarchie), qui sont la plus formidable expression de son génie selon moi. Et on achève cette énorme partie du recueil par "Les chants de la fureur", d'où a été issu quelques chansons, dont les sublimissimes "La mémoire et la mer" et "FLB". Je suis pas objectif avec ce texte, OK ? C'est le plus beau poème du monde selon moi. Et pis c'est tout.
Après tous ces délires prophétiques, on découvre son roman sois-disant non autobiographique, "Benoit Misère". Quel dommage que ce soit le seul, officiellement... A part le passage de l'écriture automatique, particulièrement illisible, c'est un très grand roman, sur lequel je reviendrai plus en détail sur sa vraie page. Mais, avec cette utilisation si particulière du goût, ce prodigieux sens de l'observation mêlé au sens de la poésie, et cette retranscription si originale des émotions, j'ai été emporté dans un vrai tourbillon de saveurs littéraires.
La dernière partie du recueil, était celle qui était dispensable. Entre les p'tites phrases balancées comme ça (certes, c'était des bouts de brouillon de Léo, mais où est l'intérêt pour le lecteur ?), ses journaux intimes de l'époque où il vivait avec Madeleine qui sont rarement passionnants et des lettres parfois qui avait tout intérêt à rester privées, je me demande encore si tout ce passage était essentiel... Servait-il vraiment à continuer le mouvement d’appréciation de l’œuvre de son paternel ? Y'avait pas besoin, tout simplement.
Ce livre est tout de même une pépite inestimable, un voyage intersidéral où ne peuvent embarquer que les fous. C'est pas le baise-main, mais c'est si bon !