1er juin 1885. Les funérailles nationales de Victor Hugo montrent à quel point l'auteur a largement dépassé le statut d'écrivain pour devenir un emblème. Cercueil exposé sous l'Arc de Triomphe, puis déposé au Panthéon, suivi par plus d'un million de personnes.
Victor Hugo a travaillé toute sa vie pour se bâtir cette statue de lui-même. Chaque œuvre est une pierre à l'édifice. Outre son talent, qui pouvait parfois être exceptionnel, le père Hugo était aussi un poseur.
C'est particulièrement flagrant dans ses poèmes en général, et en particulier dans ces Châtiments.
On le sait, le but du livre est d'attaquer frontalement les caciques du Second Empire. Je ne me prononcerai pas sur l'aspect historique, ne le connaissant pas assez. Mais les arguments développés sont très répétitifs et, sur ce plan-là, le livre tourne en rond. Successivement, Hugo nous dit :
_ que Napoléon III est un voleur et un assassin
_ que le pouvoir a été volé
_ que le but du Second Empire est qu'une poignée de dirigeants se fassent le plus d'argent possible
_ que les proscrits sont des héros
_ que le peuple de Paris a été massacré et devient un martyr
_ que les religieux trahissent leur Dieu en cautionnant ouvertement ce pouvoir criminel
_ que Napoléon III est une tafiole si on le compare au Premier du nom.
Hugo a beau tenter de changer la forme, le fond reste le même.
Quant à la qualité de ses vers ?
Une de mes profs de fac m'avait dit que Hugo écrivait des vers comme il respirait. A force d'en faire trop, à force de ne pas pouvoir faire court, il faisait d'une façon très inégale. Et ça se ressent ici. Certains poèmes sont remarquables, d'autres sont très maladroits.
Mais ce qui m'a le plus fait sourire, c'est cette image que Hugo donne de lui-même. Proscrit, exilé, donc héros. Poète, donc prophète. Il se fait patriarche biblique, Moïse cherchant à guider le peuple des opposants. Il dit ce qu'il faut dire ou faire, il définit ce qui est moral ou pas. Il se présente, une fois de plus, supérieur à l'humanité et guide suprême.
N'empêche, le résultat est sympathique, dans ses maladresses et ses excès mêmes. Après tout, c'est par ce sentiment de grandeur que le père Hugo est devenu l'auteur des Misérables et de la Légende des Siècles.