Lorsque sa fille disparaît sans laisser de traces d'un quartier résidentiel surprotégé, sans éveiller l'intérêt des forces de police — qui la dissuadent du moindre espoir — , Jemma se retrouve violemment projetée hors de la confortable bulle qui confinait son existence. Âpre rencontre avec une réalité toute crue, qu'elle n'aurait sans doute pas surmontée sans l'irruption providentielle d'un journaliste au chômage, lequel enquête sur une rumeur, une légende moderne : une armée composée d'enfants, comme au temps des croisades, quelque part en Syrie, de l'autre côté de la frontière, en terre d'Islam. Désespérée, Jemma se lance pourtant dans une impossible quête, de sa fille autant que d'elle-même.
Pour clore le triptyque de son immense fresque apocalyptique, Pierre Bordage nous entraîne une fois de plus sur les routes de l'Europe, traçant le sillage d'une quête au sein de trajectoires individuelles éclairées un instant par la Grâce ou restituées à elles-mêmes par la magie d'actes de résistance anonymes, dictés par la lucidité et la dignité. Les champs de ruines urbaines plantent un décor qui rappelle furieusement le théâtre célinien de Nord. La mort de l'Archange Michel a mis fin à la boucherie organisée mais l'arrêt de la guerre n'est pas l'arrêt des atrocités, des ignominies. La barbarie prospère aussi bien en temps de paix, au milieu des décombres, instrumentalisée par des esprits avides et hypocrites, par des êtres qui n'ont d'humain que le nom. Cet enfer sur Terre n'est cependant pas sans issue et le regard célinien de Bordage s'éclaire du miracle de l'Espérance. Que la conscience se débarrasse des oripeaux religieux, ethniques, idéologiques, qui la soumettent à la peur, mère de toutes les affres ! Qu'on laisse émerger le petit enfant qui sommeille en chacun, pour qu'il vienne à la vérité nue, la vie elle-même. Sur un constat sans illusions quant aux mirages de la civilisation, Bordage délivre un message d'une simplicité prophétique, qui emprunte au Christ et à Bouddha. Une Révélation, ici et maintenant, sur le chemin de Damas. La solution gît en chacun. Le Sola fide de l'apôtre Paul devient Sola spes. Contre la peur. Contre la lâcheté. Ne pas craindre de vivre. Ne pas craindre d'aimer. Un message de liberté que porte l'Évangile depuis l'origine. Une lettre toujours morte cependant ; une excellente idée qui n'a pas encore été expérimentée, comme le remarquait avec une malice désabusée l'excellent Théodore Monod.
(Critique parue dans Galaxies 38 en juin 2005 et lisible sur Noosfère.com)
Jonas_Lenn
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le 17 mars 2013

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Jonas Lenn

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