L'air du temps. Ils ne sont pas si nombreux les écrivains qui réussissent à le capter, avec acuité et sans raccourcis démagogiques, et à lui injecter le parfum de la fiction pour en faire un objet à la fois romanesque et documentaire. Karine Tuil fait partie de cette élite littéraire, experte en sociologie de l'immédiateté et auteure à part entière pour la construction de personnages complexes, forts en apparence, lézardés de l'intérieur, dont les vies professionnelles, sociales et intimes sont parfois en contradiction. Les choses humaines est un roman brillant, qui n'a pas peur de s'attaquer au sujet épineux des relations hommes/femmes, dans l'ère du mouvement #MeToo et, très précisément, sur les questions du consentement, de la "zone grise" et de la culture du viol. Opportunisme de la part de la romancière, diront certains. Courage, pourra t-on répondre, d'autant qu'elle ne simplifie jamais et donne les arguments du bourreau comme ceux de la victime. Les choses humaines trouve son acmé dans les scènes de procès, détaillés et réalistes, avec cette mise à nu implacable de la personnalité de l'accusé et de la plaignante. Le livre, c'est un parti pris volontairement dérangeant, décrit plus volontiers l'environnement du présumé violeur que celui de sa proie. Karine Tuil aime décortiquer le comportement de ceux qui ont du pouvoir, les hommes naturellement, et elle excelle dans le portrait de l'assaillant, jeune homme bien sous tous rapports, et de son père, bête médiatique et charismatique. Mais le roman nous parle aussi du féminisme et de ses limites, de communautarisme et, plus largement, comme elle l'a fait dans ses livres précédents, de la violence du monde et de la société. Le style de Tuil est la plupart du temps limpide et sans afféterie même s'il a parfois une tendance à se faire trop journalistique. Le plus important est qu'elle suscite le débat et la réflexion sans chercher à imposer un point de vue restrictif et sans interdire à ceux que l'on accuse de se défendre. Rien à voir avec les réseaux sociaux, ces tribunaux populaires, qui lynchent et fracassent, et qui font aussi partie de cette fresque sociale et brulante qu'est Les choses humaines.