Jean et Claire Farel forment un couple influent de la place parisienne. Lui est journaliste politique, elle essayiste féministe. Leur fils, Alexandre, sportif émérite, a brillamment réussi le concours d’entrée à Polytechnique et étudie à Stanford. Voilà pour la surface.
En profondeur, le couple est désuni, Jean Farel mène une double vie depuis presque vingt ans et met également quelques jeunes stagiaires dans son lit, et Claire Farel a fini par quitter son mari pour un professeur de français d’un collège juif du 93 (c’est l’événement déclencheur du début de l’intrigue). Alexandre, quant à lui, se sent complètement délaissé par ses parents qui ne semblent s’intéresser qu’à sa réussite scolaire et a fait une tentative de suicide lors de sa première année à Polytechnique. Bien sûr, pour la remise de la Légion d’honneur de Jean à l’Élysée, ils reformeront leur trio parfait.
Mais leur façade éclatante va définitivement voler en éclats avec une plainte pour viol, et la seconde partie du roman constitue une retranscription très réaliste d’un procès extrêmement médiatisé. Au cours de ce procès, très fortement inspiré de l'affaire dite de Stanford, sur fond de #MeToo, de nombreuses questions seront posées, sur l’abus de pouvoir et le consentement notamment. Fait rare à relever : Dans ce roman, la justice est présentée comme juste (ce n’est pas si courant !), cherchant la vérité, incorruptible, faisant mentir l’adage de La Fontaine « Selon que vous serez puissant ou misérable / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » car c’est plutôt la zone grise qui pose ici problème.
Un critique littéraire du Masque et la plume comparait récemment un écrivain de la rentrée littéraire à un « aspirateur à air du temps » (ce n'était pas un compliment...) mais l’on pourrait dire de Karine Tuil qu'elle a plutôt un don pour brasser en un seul roman beaucoup de choses que l’on entend et voit, dans la rue et dans les médias, chaque jour et depuis dix ans. Tout cela est fait de façon assez crédible, même si certains personnages sont un peu caricaturaux (mais ils pourraient exister, selon ceux qui connaissent bien ce milieu), et à un rythme effréné qui rappelle celui des meilleures séries.
Le sens du rythme est vraiment le plus grand talent de Karine Tuil. Elle parvient à reconstituer les quatre journées d’un procès sans que l’on ne s’ennuie une seule fois et le suspense que constitue l’attente des témoignages, que les questions des avocats précisent et annihilent parfois, est très fort. Dans son roman L’invention de nos vies, la densité d’informations données était presque trop forte pour permettre au lecteur de suivre un tel rythme tandis que cette fois le tempo est le bon.
Petit bémol sur le titre, qui n’est ni explicite ni suggestif. Non, ce roman ne constitue pas un exposé de banales « choses humaines », il décrit la chute d’hommes et de femmes dont le pouvoir est aussi fragile que flamboyant.