Que feriez-vous avec un héritage de cinq cent millions de dollars ? La réponse que nous donne Jules Verne est bien différente de celle que la majorité d'entre nous donnerait aujourd'hui ! Ces 500 millions, partagés entre deux héritiers, l'un français et l'autre allemand, serviront à construire deux idéaux aux antipodes l'un de l'autre. D'un côté, la Cité de l'Acier, une dystopie sur fond d'industrialisation démesurée. De l'autre, France-Ville, utopie de la ville hygiéniste par excellence.
En cette année 1879, date à laquelle le roman est publié, voilà seulement 9 ans que la guerre de 1870 a permis à l'Allemagne d'affirmer sa puissance sur la France. Les nationalismes sont exacerbés, et on les retrouve tout à fait dans ce roman de Jules Verne, qui pourrait presque passer pour un exercice de propagande. Evidemment, il est plus difficile de le comprendre aujourd'hui, tout autant que le rôle vindicatif joué par le personnage Alsacien Marcel, qui en dit long sur l'impact du contexte historique sur cette intrigue.
Hormis cela, l'exploration des utopies et dystopies urbaines est elle-même très ancrée dans son époque. Ce qui devait sans doute détonner de contradictions entre la Cité de l'Acier et France-Ville, n'est plus tout à fait jugé de la même façon aujourd'hui, et c'est le moins qu'on puisse dire. Bien qu'il ne soit pas difficile de voir dans la Cité créée par Herr Schultze tous les aspects de la dystopie, France-Ville, en revanche, est loin de passer aujourd'hui pour une utopie. En effet, l'hygiénisme a fait son heure, et la planification théorique d'une ville sortie de nulle part dirigée par des experts n'est pas non plus au goût du jour. Difficile alors de comprendre vraiment certaines parties du récit, comme celle de la description des contraintes d'hygiène imposées aux habitants de cette ville, qui autorisent toute liberté, mais interdisent une liste invraisemblable de matériaux dont les papiers peints, les couettes ou les tapis, de façon à ce qu'on ait du mal à voir où se situe exactement la liberté !
Alors, où sont réellement l'utopie et la dystopie ? Et surtout, s'agit-il d'une critique ou d'une apologie de l'industrie ? Difficile à dire sans étudier plus précisément, et l'époque et la personnalité de Jules Verne.