...ou comment sous-estimer l'abstention nuit à la démocratie

Les citoyens ont de bonnes raisons de ne pas voter est un petit livre, clairement à gauche, qui tente de décrypter les raisons de l'abstention croissante aux différentes élections depuis maintenant une vingtaine d'années. Le constat premier du livre est éclairant et important : l'abstention croit dangereusement et les médias la balayent d'un revers de main comme un évènement fortuit, fruit d'une partie de la population égoïste et non-citoyenne. Vision tronquée de la réalité, qui est néfaste puisqu'elle néglige les conséquences profondes d'un désengagement de la population dans les urnes. (Sans compter la prédominance actuelle du vote contre et de la forte présence des électeurs de gauche à la primaire de droite)


Avant de voir les conséquences, il s'agit d'en comprendre les causes. Là encore, sujet survolé par les médias et toujours en culpabilisant les abstentionnistes. Le livre tape juste sur de nombreux points. En premier lieu, la professionnalisation toujours plus importante du politique, faisant se développer une oligarchie politique qui fait du politique une finalité et un métier. Ce qui entraine irrémédiablement une certaine convergence de points de vue de gens très aisés, n'ayant quasiment jamais travaillé ou été au chômage. De plus, cela oblige le système à toujours proposer les mêmes têtes et donc une forme moribonde d'immobilisme. Il suffit de regarder Jacques Chirac : première élection en 1965 comme conseiller municipal, terminant sa carrière politique 42 ans plus tard (!) après avoir été successivement député, maire de Paris durant 18 ans, président du Conseil général de Corrèze, deux fois premier ministre sous deux présidents différents, ayant tenté l'élection présidentielle 4 fois en la réussissant deux fois. Et encore, même s'il quitte la présidence en 2007, il reste membre à vie du Conseil Constitutionnel. Chirac est l'exemple parfait du politicien professionnel : sortant de l'ENA, aucun travail et peu ou prou aux affaires du pays pendant 40 ans. Les solutions proposées sont de supprimer le cumul des mandats et des indemnités strictement, d'interdire le renouvellement des mandats et de baisser les salaires des élus. (Et de nommer par tirage au sort une assemblée citoyenne qui serait chargée de surveiller les assemblées d'élus pour éviter les malversations)


Dans un second temps, et c'est ici un point de vue que je juge bien plus contestable, les auteurs pensent que les sujets économico-sociaux sont relégués au second plan face aux questions identitaires (de droite ou de gauche), qui sont mineures et presque inintéressantes. On retrouve là un marronnier de la gauche marxiste autoritaire et productiviste qui tend à critiquer toute analyse qui ne place pas la lutte des classe comme seul horizon prioritaire pour l'avenir et les luttes à mener. C'est un criant exemple de l’inintérêt de cette partie de la gauche pour le féminisme et la défense des gens qui ne sont pas cis-genres, blancs, hétérosexuels, valides et neurotypiques. De plus, les sujets économiques sont au centre de presque tout les débats, il est donc stupide de dire qu'on en parle pas. En revanche, la vision marxiste de l'économie est en désuétude et c'est tant mieux. Finalement, ils font également ce que beaucoup de marxistes font : cacher une analyse marxiste sous un duvet de neutralité. Comme c'est le cas pour Acrimed et Arrêts sur Image, qui font en soi un travail intéressant mais un travail orienté, de gauche marxiste. Et non pas neutre comme ils veulent le faire croire. Ils en ont le droit mais il est usant de les voir se draper du sceau de la neutralité quand leurs analyses sont pratiquement plus orientées que celles qu'ils critiquent !


Troisième point important : la corruption de la classe politique et le fait qu'elle tende à défendre les intérêts des plus riches. Il est intéressant de noter que les auteurs font de nombreuses pages sur le sujet, en mettant tout sur le dos des entreprises qui corrompent mais jamais sur celui des politiciens corrompus. Il est tout aussi curieux de ne voir aucune mention du capitalisme de connivence, notion pourtant importante mais que les marxistes étatistes préfèrent passer sous silence. C'est couplé avec la professionnalisation que les politiciens seraient ainsi des humains "hors-sol", loin des réalités de terrain et du quotidien des français. (On pense aux 15 centimes du pain au chocolat de Copé ou aux "kebak" de De Villiers) Critique, pour le coup, entièrement fondée.


Au final, le constat est simple : les politiciens ne pensent qu'à faire carrière, ami-ami avec les entreprises, s'en mettre plein les pognes et l'intérêt général s'en ressent fortement, l'abstention augmente puisque les "classes populaires" ne se reconnaissent pas dans le panel de candidat, des friqués au droite aux élitistes de gauche radicale. C'est en cela que l'ouvrage est intéressant et profond. En revanche, il agace vraiment avec ses oripeaux de neutralité qui sont contre-carrés toutes les cinq pages, avec leurs partis-pris marxistes évidents, leurs références constantes à des auteurs de gauche (Michéa, Lordon, Piketty, pour ne citer qu'eux). Technique classique d'une gauche marxiste qui se croit (ou veut se faire croire) neutre pour faire passer l'amère pilule de l'anti-libéralisme et de l'importance de la lutte des classes. (Je ne peux pas m'empêcher de penser à l'exécrable Saison Brune, qui tombe dans les mêmes excès...) Je rêve d'un livre du même acabit, qui ne parle pas d'être neutre, qui assume le fait que c'est impossible d'être neutre mais qui tente d'aller au-delà des partis pris. La démarche aurait au moins la fraicheur de la tentative.

Gondebaude
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le 8 déc. 2016

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