Dans les Corbières, le château des Testasecca succombe de jour en jour davantage aux outrages du temps. Ses propriétaires, ruinés, sont au bord de l’expulsion. Le flamboyant père vigneron, Léon, a beau se draper dans sa superbe et multiplier les coups de poing au village, la mère Diane jongler de son mieux avec les dettes qui plombent les comptes, leurs enfants Clémence et Pierre, dix-sept et quinze ans, se rendent bien compte que leur situation est aussi périlleuse que celle de leur fabuleuse forteresse. Pour autant, pas plus que leurs parents, la fille qui, comme un homme, s’attèle avec résolution aux travaux de gros œuvre les plus urgents, et le fils, braconnier dans l’âme, qui connaît comme sa poche les hauts plateaux alentour, ne sont prêts à se laisser chasser de leur ancestral repaire. Et s’il le faut, c’est un comité armé qui accueillera huissiers et gendarmes…
Posséder un château n’est pas une sinécure. Qui plus est une forteresse follement campée sur les contreforts montagneux du massif des Corbières, dans le paysage âpre d’une nature sèche et sauvage, à l’austérité aussi ingrate que menaçante. Car, au-delà des tracasseries financières et des appétits immobiliers sur le point de leur donner le coup de grâce, c’est d’abord l’inexorable attaque du temps et des éléments que les Testasecca affrontent dans un combat inégal et perdu d’avance. La nature des Corbières devient un personnage à part entière, magnifique mais dangereux, car doté d’une puissance imparable, imprévisible, qui, lorsqu’elle s’acharne, réveille craintes, superstitions et antiques croyances.
Parfaitement réaliste quant à son versant humain, où une poignée d’êtres anticonformistes voient leur liberté rognée peu à peu par le triomphe d’un matérialisme normatif symbolisé par le bitume et le béton, la narration verse dans la magie du conte lorsqu’elle évoque fantastiquement, comme en écho au souvenir des perceptions d’enfance de l’auteur, la fabuleuse architecture du château-fort, de terrifiants orages et de dévastateurs incendies de forêt, une faune effrayante et de maléfiques créatures cachées dans les replis de la montagne. Ne reste au lecteur qu’à lâcher prise et à se laisser porter par l’écriture magique de Guillaume Sire, qui, d’une manière qui m’a évoqué Franck Bouysse, sertit la noirceur de son histoire dans des phrases d’une beauté lumineuse lorsqu’elles évoquent son cadre naturel, et, comme dans Buveurs de vent, joue des symboles et du conte pour exprimer la rébellion contre un monde sclérosant. Une résistance qui se teinte d’ailleurs ici d’une touche de subversion, dont on pourra retrouver un écho chez Edward Abbey et les scènes de sabotage de son Gang de la clef à molette.
Dans un registre très différent d’Avant la longue flamme rouge, récit haletant et bouleversant d’une histoire vraie, ce conte symbolique, qui oppose une nature vengeresse à la cupidité suffisante d’hommes persuadés de l’avoir domestiquée, réinvente étonnamment le talent de Guillaume Sire. S'y révèle notamment une nouvelle facette, particulièrement esthétique, de sa plume. Nouveau coup de coeur pour cet auteur.
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