Une des bases de tout bon écrivain qui se respecte, on le sait, est sa capacité à se mettre dans la peau de son personnage.
Une des bases de tout TRÈS bon écrivain qui se respecte, on le sait, est sa capacité à se mettre dans le peau de TOUS ses personnages.
C'est le tour de force auquel parvient Jonathan Franzen avec ces corrections.
Le portrait de famille est complet, reconnaissons-le, puisque ce ne sont pas moins de cinq membres d'une famille qui nous sont tour à tour dépecés, examinés, analysés, d'une manière si précise et juste qu'à chaque fois on se dit que le point de vue exprimé est le seul valable.
Comment ne pas reconnaître sa propre mère en Enid, avec ses obsessions qui l'empêchent de voir la vie telle qu'elle est est réellement, au sous-sol emplis d'objets inutiles et obsolètes, comme autant de regrets concernant le cours d'une vie contre laquelle elle n'a jamais pris position ?
Comment ne pas sentir comme un part de soi un père qui ne montre son amour qu'en respectant absolument l'intimité des siens, et donc en se montrant froid et distant ?
Comment ne pas se sentir proche de Gary, le fils ainé coincé par une femme, trois enfants et un boulot sans passion, lorsque la dépression le frappe de plein fouet et qu'il découvre les alliances qui se sont nouées dans son dos à la suite d'accès paranoïaques ?
Comment ne pas se sentir frère de Chip, le cadet irrésolu et inconséquent qui ne parvient à ne jamais satisfaire personne et qui cultive parfaitement la faculté d'échouer sans cesse à vivre ?
Comment, enfin, ne pas suivre avec empathie la carrière en dent de scie de Denise, à la sexualité indécise, et aux rythmes de travail terriblement cycliques ?
A moins que Jonathan n'ait écrit ce roman que pour moi.
Voyons ?
Non, on est trop nombreux à l'avoir apprécié, c'est pas possible.
Quelques citations pour terminer, pour donner une idée du style et de l'ambiance, vous savez que j'aime ça:
"Elle avait toujours été jolie, mais, pour Chip, c'était à tel point un caractère et si peu autre chose que même en la regardant de face il n'avait aucune idée de ce à quoi elle ressemblait vraiment" (p29)
"le seul résultat garanti d'une aventure serait d'ajouter une femme désapprobatrice de plus à sa vie." (p273)
"N'avoir rien ressenti, pas le moindre élan, dans la souris morte d'où sortait son urine depuis trois semaines, avoir cru qu'elle n'aurai jamais plus jamais besoin de lui et qu'il ne la désirerai jamais,plus jamais, et puis, subitement, être transporté par la désir: ça, c'était le mariage tel qu'il le connaissait." (p278)
"il avait perdu trace de ce qu'il voulait, et comme une personne était la somme de ce qu'elle voulait, on pouvait dire qu'il avait perdu la trace de lui-même." (p659)
"Pour la deuxième fois en une heure, quelqu'un s'accrochait à lui, comme s'il était une personne solide, comme s'il y avait quelque chose en lui." (p668)