Avec « Les derniers jours » Michel De Jaeghere décrit la lente agonie de l’Empire Romain. Et l’on se pose tout du long la question : y a-t-il une loi générale à en tirer? Peut-on transposer ces évènements à notre occident actuel?
Disons d’emblée que l’auteur n’engage pas une polémique et que l’ouvrage n’est pas un pamphlet : soigneusement argumenté et référencé, la trouble question des invasions barbares, les questions économiques, politiques, sociales, militaires sont traitées tout en nuances et rendent bien compte de la multiplicité des causes et des conséquences qui vit l’empire d’occident disparaitre mais aussi perdurer sous d’autres formes (les royaumes romano-barbares, l’empire byzantin) avant que de nouvelles sociétés fleurissent sur son héritage.
Tous ces aspects sont traités par ordre chronologique de la crise du IIIeme siècle jusqu’aux mérovingiens et la reconquête justinienne.
On y suit bien sûr les décideurs : les empereurs, brillants ou d’une insondable nullité, les chefs barbares, souvent bien plus romanisés qu’on ne le croit et parfois défenseurs passionnés d’un empire bien peu reconnaissant (Stilicon, super-héros trahi par ceux-là même qu’il défend !). Et Attila, Aetius, Théodoric !
Mais on suit aussi cette société romaine qui ressemble de moins en moins à celle de la pax romana : grands seigneurs convaincus d’incarner la romanité s’accaparant la richesse d’un empire paupérisé, paysans cherchant protection, transformés en serfs ou se révoltant, classes moyennes écrasées par le fisc, tandis que la défense de l’empire dont le sens se perd pour ses habitants est de plus en plus mise en œuvre par des mercenaires coûteux et à la fidélité toute relative…
On voit que malgré les combats et destructions, bien des contemporains n’ont pas perçus la fin de leur monde, que les « barbares » fascinés par la romanité ont souvent provoqué involontairement : la dislocation des communications, l’impossibilité du commerce a amené à la mise en place d’une économie de prédation et la destruction des productions (comme le démontre Ward-Perkins qui est l’une des sources de l’auteur), provocant famines et réduction des populations. Les groupes barbares, très minoritaires en proportion de la société d’accueil, du fait de leurs schémas culturels (sociétés militaires et agraires…) n’ont pas montré d’intérêt pour la vie urbaine au cœur de la romanité et la disparition du numéraire contraignait à payer les services avec la terre. La parcellisation du territoire qui en est la conséquence amène donc à la féodalisation de l’occident.
Pour conclure, ce livre érudit, très clair et superbement écrit déroule une fresque impressionnante et quelque peu pessimiste, de portée générale. En presque un demi-siècle de lecture, je le classe dans mon top10. A lire absolument.