J'avais écrit une critique...
Une critique super chouette, d'ailleurs, documentée et tout, avec un esprit d'analyse rendant compte de la finesse de l'ouvrage, une rigueur qui me permettait d'affirmer avec aplomb les points forts et les points faibles du bouquin ; il y avait même de l'humour et de la gravité.
C'était la critique parfaite, celle qui m'aurait valu les badges "loquace" et "appréciation des critiques niveau 12", ainsi que l'abonnement de la moitié de la blogosphère à mon profil. L'ouverture de comptes facebook et twitter était à l'étude, histoire de rendre honneur à la suprême notoriété qui m'attendait. Les médias de référence n'allaient pas tarder à s'intéresser à mes talents, et me proposer de rejoindre les rangs déjà bien fournis de leurs plus grandes plumes, avec comme offre d'embauche, un appartement de fonction dans le 6e arrondissement, une voiture avec chauffeur, des tickets pour aller voir jouer le PSG (euh...), bref, tous les avantages qu'un homme de ma trempe exige, en toute humilité.
Et puis...le drame. Par un matin cruel, alors que ma chronique touchait à sa fin et que je m'apprêtais à cocher la case "publier ma critique", non sans avoir relu et corrigé ce texte exceptionnel la larme à l'oeil, cette ignoble machine qui me permet au quotidien de rejoindre le monde virtuel d'internet, ce grotesque objet qui avait centralisé mon attention ces trois derniers jours, cette sacrée interface a planté. Impossible de savoir ce qui s'était passé (sans doute mon os a déclenché MS-autocrash, considérant que mon ordinateur n'avait pas planté depuis trop longtemps).
Tout ça pour dire que lorsque j'ai rejoint fébrilement mon profil senscritique en souhaitant ardemment en terminer avec cette critique, la pire supposition s'est confirmée : y avait plus de critique. L'encadré s'est présenté insolemment vide, et l'intitulé, narquois, m'invitait à entamer ma rédaction. Adieu, notoriété, champagne et courtisanes...
Voilà. C'était la complainte du senscriticien à qui la technique a fait faux bond.
Et le livre, dans tout ça, me direz vous ? Oh, il est bien. Un peu austère parfois, et la profondeur des réflexions auquel l'auteur se livre à travers son personnage (qui semble être une projection de Musil, on peut l'affirmer sans prendre trop de risque) est souvent vertigineuse. Cela peut entacher la lisibilité d'ensemble, et exige une concentration assez inhabituelle pour le lecteur lent que je suis.
Néanmoins, on pressent à la lecture pour le moins passionnante de ce premier roman le génie à venir de son auteur, et à travers les désarrois métaphysiques et émotionnels de son personnage, les turpitudes futures d'un écrivain qui marquera son temps de manière indélébile avec L'homme sans qualités (il est là, dans le troisième rayonnage de ma bibliothèque, celui qui comporte la mention "à lire avant de mourir").
En somme, malgré l'apparat quelque fois lourdingue propre à une époque où le romantisme domine encore, Les désarrois de l'élève Törless est un livre qui confine parfois au sublime tant dans la précision des descriptions que dans le lyrisme et la cruauté des personnages. Un coup de force qui ne laisse pas indemne.
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