Impossible de définir précisément ce roman, original tant par la structure et le style que par le fond. Il s'agit plus ou moins de la nécrologie d'un courant littéraire mexicain fictif, le réalisme-viscéral, présenté en 3 parties.
Le roman s'ouvre sur journal d'un jeune réal-viscéraliste, Juan Garcia Madero, et nous plonge au cœur de ce pseudo-mouvement littéraire. On y croise des jeunes dont les motivations vont de l'assouvissement des désirs sexuels à la renommée, en passant par l'amour de la poésie ou un certain idéalisme.
La deuxième partie effectue un bond dans le temps. Elle recueille les témoignages de nombreux personnages ayant croisé la route des deux fondateurs du mouvement, Ulises Lima et Arturo Belano, et essaye de retracer ce qu'ils sont devenus une fois leur courant littéraire mort. Cette partie, bien que présentant quelques longueurs, relève d'une véritable maîtrise de l'écriture car, n'ayant pas fait l'effort de retenir les noms de la foule de protagonistes qui témoignent, je les identifiais généralement au style d'écriture qui reflète des personnalités bien distinctes et travaillées. On y croise aussi bien des culturistes, des écrivains publics, des vagabonds, des écrivains devenus célèbres, d'autres ratés,... La liste de témoignages est vertigineuse et nous plonge de l'humour de la première partie à une ambiance douce-amère car le souvenir du réal-viscéralisme s'évanouit peu à peu, tout comme se perdent les traces de Ulises Lima et d'Arturo Belano, dont les vies dissolues se perdent dans les rues de Barcelone, de Lima, de Monrovia ou d'ailleurs. "Ce qui commence en comédie s'achève en tragédie".
La dernière partie reprend le journal de Juan Garcia Madero où nous l’avions laissé, en fuite dans le désert en compagnie d’une prostituée, d’Ulises Lima et d’Arturo Belano, sur les traces d’une poétesse disparue, Cesàrea Tinajero, qui aurait inspiré le réalisme viscéral. Ils n’y trouveront que du sable et des ombres. Le livre se clôt sur quelques symboles qui font écho au seul poème connu de Cesàrea Tinajero. « Tout ce qui commence en comédie s’achève en exercice cryptographique ».
Si la richesse de ce roman m’a malheureusement donné le sentiment de ne pas en avoir saisi toutes les subtilités qu’elle recèle, tout spécialement cette fin sous forme de schémas, il n’en s’agit pas moins d’une œuvre qui m’a beaucoup marqué. Roberto Bolano y mêle de la poésie à la tristesse et à l’humour. Il s’adonne à l’autodérision en se moquant de la littérature tout en la mettant sur un piédestal. C’est une œuvre complète et insaisissable. Comme Bolano le dira d’ailleurs : « Je crois que mon roman a presque autant de lectures qu'il y a de voix en lui. On peut le lire comme une agonie. On peut le lire aussi comme un jeu.» Cependant, l’effort que demandera la lecture sera, je pense, inévitablement récompensé.