Lire Rebatet à 60 ans en 2020 n’est pas comme lire Céline dans les années 70 à 20 ans.
Donc impossible de lire « Les Deux Etendards » sans penser à la position de Rebatet pendant l’occupation. Et la question est qu’est-ce qui en transparaît dans son roman.
C’est dans un premier abord, comme pour Celine, le style qui intrigue s’il ne séduit pas. Ils sont à l’opposé, certes, il n’y a pas chez Rebatet le désire de bousculer l’écrit littéraire, il y a au contraire volonté d’un certain classicisme. Les univers stylistique des deux auteurs sont très éloignés l’un de l’autre. Mais ils ont chacun leur « petite musique ».
Des fulgurances ce roman, le lecteur est bousculé d’un extrême à l’autre comme dans un grand huit. Helter-Skelter - Le personnage principal nous surprend, nous déçoit, nous ennuie.
Est-ce le fait que ce livre a été écrit après la guerre et que l’auteur n’a pas voulu faire apparaître son antisémitisme premier ? Où tout simplement, est-il passé à autre chose. La question du christianisme, de l’innocence, de la morale se retrouve ici fortement posée. Il va s’agir de chrétienté, beaucoup de chrétienté. De longs dialogues sont le moyen d’exposer une connaissance profonde de la religion catholique. Le but étant de mettre en exergue toutes ses contradictions, ses roueries, manipulations. On pourrait s’attendre à ce que les juifs soient mis au pilori mais ce n’est pas le cas,.
Par un anti-cléricalisme féroce, la religion est la cible, pas la foi. De longs passages composent une analyse clinique, voire chirurgicale de la religion, de ses fondamentaux et de sa pratique. Tout y passe, les évangiles et les exégètes, la liturgie, les prêtres et les croyants. On est perplexe devant ces ratiocinations et logorrhées, puis on se dit que les personnages ont à peine vingt ans, l’âge des questions et des débats sans fin où le doute fait bon ménage avec les certitudes.
La foi est disséquée (Dostoievski) comme l’amour (Stendhal), assez crument d’ailleurs, l’une comme l’autre ; leurs composants grotesques et absurdes ne sont pas éludés.
L’amour… Au milieux de ce fatras brinqueballant, on y trouve les plus pages de littérature, chargée de délicatesse, de sensibilité sans sensiblerie, l’art de l’évitement, de l’hésitation, de l’angoisse de l’échec, du fiasco (Stendhal encore). Le corps et ses apprets, le corps et ses formes, le corps et ses substances sont décrits avec bienveillance même dans ses aspects les plus triviaux. Le sublime étant évidemment celui de l’être aimé.
Et puis l’érotisme le plus trivial, animal mais finalement le plus romantique. Car il s’agit bien aussi de romantisme dans ce roman.
Au final, étrange livre dont on ressort quelque peu bousculé et perplexe. Parfois ennuyeux, longuement discursif puis traversé de fulgurances éblouissantes. De fait, on continue la lecture en attendant, en espérant la prochaine fulgurance au détour d’une page, de même que l’on patiente lors de l’ascension lente du chariot du grand huit avec en soi le désir jubilatoire teinté d’angoisse de la sensation promise dans la descente à venir.
Ce roman peut générer un rejet absolu comme un sentiment ambigu et on se retrouve comme à la première lecture de Céline. Est-ce dû à une morale d’époque où il est imposé de juger une œuvre à l’aune de la vie de l’auteur ?Mais on comprend aussi pourquoi un Camus a pu demander une indulgence pour l’auteur à la libération (qui a été condamné à la peine de mort, puis gracié)
Livre qui laisse des traces, qu’on n’oubliera pas et qui ne se rangera pas dans la bibliothèque de l’oubli. Roman exigeant beaucoup de son lecteur, peut-être hors du temps, presque impossible à imaginer en ces temps.