Michel est un garçon de vingt ans, intelligent et pauvre, qui débarque à Paris dans les années vingt pour y terminer ses études. Il découvre Paris : musique, peinture, théâtre, littérature, et le plaisir. Son ami Régis, demeuré à Lyon, lui apprend qu'il veut devenir prêtre, et même jésuite, et en même temps qu'il aime une jeune fille nommée Anne-Marie. Quand Régis entrera au Séminaire, Anne-Marie commencera son noviciat dans un ordre féminin. L'évocation de l'amour mystique et pur, mais brûlant, qui les unit, bouleverse si bien Michel qu'il tombe à son tour amoureux d'Anne-marie sitôt qu'il la rencontre. Le seul moyen de rejoindre Anne-Marie lui paraît être de rejoindre à la fois Régis et Anne-Marie dans leur aventure spirituelle...
Les deux étendards est un roman, largement autobiographique de Lucien Rebatet publié en 1952 . Compte tenu du passé collaborationniste et de l'engagement antisémite de son auteur, l'ouvrage fut faiblement diffusé lors de sa publication.
On compare souvent Louis Ferdinand Céline et Lucien Rebatet compte tenu de l'image sulfureuse et contrastée qu'ils laissèrent dans la littérature. Du point de vue des faits, si Céline fit preuve d'un antisémitisme uniquement littéraire (Bagatelles pour un massacre et autres pamphlets écrits entre 1936 et 1941), Rebatet fut pour sa part plus investi dans cette entreprise: il fut notamment l'un des rédacteurs du journal antisémite puis collaborationniste, Je suis partout, à partir de 1941.
Coté style, tout sépare les deux écrivains. Céline invente un style elliptique personnel et très travaillé, qui emprunte à l'argot et tend à s'approcher de l'émotion immédiate du langage parlé. Rebatet écrit dans la plus pure tradition classique. Son style alerte, riche et lyrique prend encore plus de relief compte tenu des nombreuses références culturelles (Nietzsche, Wagner...) du roman et de son coté largement discursif (Dialogues entre Michel et Régis).
Les deux étendards était l’un des romans de chevet de François Mitterrand à qui l’on prête cette citation : « « Il y a deux sortes d'hommes : ceux qui ont lu Les Deux Étendards, et les autres. »
Le profane et le sacré
Les deux étendards, roman largement autobiographique, est très riche sur le plan culturel et philosophique (Cf Recensements minutieux de Tetsuo https://www.senscritique.com/liste/References_culturelles_dans_Les_Deux_Etendards_De_Rebatet_Li/2840012
https://www.senscritique.com/liste/References_culturelles_dans_Les_Deux_Etendards_De_Rebatet_Mu/2842595).
Michel (Largement inspiré de l'auteur) et Régis sont deux étudiants doués, passionnés de musique classique et de littérature. Pourtant, beaucoup de choses les opposent. Leurs divergences donnent lieu à de longues joutes oratoires et philosophiques sur la chrétienté, l'amour et les arts qui sont les thèmes centraux du roman.
Parfois, l'amour et le sexe, y compris de façon crue, font irruption dans le roman notamment grâce aux aventures amoureuses et autres fantasmes de Michel révélées au lecteur par son introspection permanente.
Le style, élégant et précieux quant il parle d’Art, devient argotique quant il cible la chair.
Un roman anticatholique et antibourgeois
Si les deux étendards n’a rien d’un roman antisémite, il est profondément antichrétien et individualiste. Après une première partie de roman décrivant notamment la tentative de conversion de Michel pour le catholicisme afin de rejoindre Régis et Anne Marie dans la foi, les deux étendards devient profondément anticatholique lorsque Michel se rebelle contre les hommes d’église qui doivent l’instruire puis contre Dieu.
La ville de Lyon n’est pas épargnée. A l’ombre de la capitale idéalisée par Michel lors de son séjour à Lyon, la capitale des Gaules est décrite, au travers des déambulations dans ses rues et passages, comme une ville médiocre remplie de petits bourgeois à l’esprit étriqué.
Les deux étendards, c’est la description de l’adieu à la jeunesse et à ses illusions de deux jeunes hommes qui revendiquent leur appartenance à une élite. Puisqu’ils ne parviennent pas à devenir adultes, l’un choisit de devenir un soldat du Christ, l’autre l’érotisme et la volonté d’accéder à l’amour absolu.
Devenir adulte représente, il est vrai, tellement de renoncements…
Avec le temps qui passe, mon goût décroissant pour l'effort et un certain goût pour la facilité, j’avoue parfois eu un peu de mal avec ce "pavé" qui fait un peu moins de 1300 pages sur ma liseuse.
Les interminables duels discursifs entre Michel et Régis ou Michel et Anne-Marie m’ont parfois ennuyé. Le livre m'a davantage captivé dans sa seconde partie, quand la réthorique fait place aux sentiments et que la narration devient moins statique. Le roman devient passionnant lorsque l’amour s’incarne et que le chaos vient frapper à la porte des 3 protagonistes.
Pendant les 3/4 du roman, Les deux étendards est un roman sur la frustration, celle de Michel pour son amour inassouvi pour Anne Marie ainsi que celle de cette dernière pour Régis qui la quitte pour entrer chez les jésuites. Les 200 dernières pages du livre sont passionnantes et incertaines. Elles seront le champs de bataille de la Foi contre le plaisir, de l’amour contre le renoncement pour s'achever dans l’amertume et la tristesse...Roman du manichéisme, Les deux étendards porte en son sein la quête de l'absolu qui balaie tout sur son passage.
Les deux étendards est un grand roman magnifiquement écrit. C'est aussi un livre ardu et exigeant.
Ma note: 8/10