Les deux Républiques françaises par Blèh
Prix wikibéral 2009, il ne m'en fallait pas plus pour me jeter dans l'ouvrage du philosophe Philippe Nemo. Amoureux de l'Histoire des idées, l'homme s'est essayé à une analyse rigoureuse des origines conceptuelles de ce que nous nommons aujourd'hui "République" en France. Car l'essai part d'un constat, celui de deux conceptions antagonistes de la République Française : l'une centralisée, égalitaire, "laïciste", étatiste, et "jacobine" ; l'autre, libérale, décentralisée, individualiste, et confiant dans un certain laisser-faire. Ces deux conceptions (teintées politiquement au lieu d'être un simple modèle d'organisation juridique), Philippe Nemo en retrace l'origine à la Révolution et ses lendemains. La conception libérale de la République est celle des premiers jours, de 1789. Celle des jacobins est arrivée plus tardivement, en 1793. Philippe Nemo défend ici que ce sont ces deux conceptions qui ont été en lutte sur les derniers siècles, jusqu'au triomphe idéologique de la conception constructiviste et autoritaire de "1793".
Si le constat est particulièrement lucide et que l'introduction laisse entrevoir un argumentaire croustillant, le ton un peu moqueur et engagé peut user sur le long terme. Car Nemo ne s'en cache pas, son engagement est du côté de 1789. Et, de plus, devant l'ampleur de la tâche (retracer environ deux siècles d'Histoire politique française) on ne peut qu'être étonné de voir le sujet traité en quelques 200 pages. Aurions-nous donc affaire à un ouvrage de vulgarisation, de sensibilisation, et non une synthèse académique qui recoupe les travaux de plusieurs Historiens (Cornette, Déat, Winock) et les témoignages de personnages historiques (Auriol, Blum) ? Difficile de le conclure, car si l'objectif est de sensibiliser, le ton irritable de l'auteur s'avère contre-productif. Perdu dans ses piques à la Gauche et aux Francs-Maçons, l'auteur désarçonne. S'agirait-il de nous bourrer le crâne ?
Un tri s'impose néanmoins. 200 pages denses d'information, riches en rebondissements, en analyses, en références. Nemo ne prend pas son lecteur pour un nouveau venu dans l'Histoire politique, et il convient d'avoir quelques repères bien ancrés dans sa petite tête si l'on veut profiter de la fluidité du raisonnement sans avoir à se repencher à outrance sur les périodes concernées. N'espérez pas goûter tout le suc logique sans avoir au moins en tête les grandes dates et grands noms de l'Histoire Française contemporaine, au moins pour s'y retrouver. Ce n'est donc ni un ouvrage académique, faute de subtilité, ni un ouvrage de vulgarisation, faute d'accessibilité. Alors de quoi s'agit-il ?
L'ouvrage est un piquant essai destiné à bousculer certains mythes et tabous. Non, les dreyfusards n'étaient pas en majorité socialistes, et les anti-dreyfusards conservateurs et libéraux. Oui, le laïcisme forcené est, dans l'Histoire, aussi absurde et criminel que le cléricalisme prosélyte. Oui, la tradition jacobine est anti-démocratique, en ce qu'elle a toujours cherché à imposer sa volonté par le haut, souvent en désaccord total avec le peuple qu'elle prétendait représenter. Non, les communistes de la seconde guerre mondiale n'ont pas toujours été résistants et ont même été les premiers à collaborer, du moins jusqu'à la rupture brutale du pacte germano-soviétique. L'ouvrage est un résumé des travaux d'Historiens réputés qui n'ont pas pu filtrer dans l'opinion publique. Ce sont des faits, que Nemo articule de façon chronologique afin de mettre en lumière certaines conceptions erronées que l'ont peut avoir sur notre Histoire. C'est un outil destiné à mieux comprendre la vie politique d'aujourd'hui où le Républicanisme tapageur sert de prétexte à tous les débordements législatifs.
En essai haut en couleurs, un peu déroutant, mais intéressant pour qui n'a pas eu l'occasion de voir en détail l'Histoire de France, et original pour son point de vue critique engagé et assumé, en dehors des sentiers battus.