Les Dieux eux-mêmes

Au début du XXIIe siècle, le scientifique Frederick Hallam découvre par hasard que du tungstène s’est transformé en plutonium instable dans son laboratoire. Il en déduit que cet échange est provoqué par un univers parallèle, dans lequel les lois de la physique diffèrent des nôtres. Une Pompe est alors construite pour systématiser le transfert des isotopes, créant ainsi une source d’énergie bon marché, propre et apparemment éternelle. Hallam devient le scientifique le plus respecté et le plus puissant de son époque. Près de trente ans plus tard, le physicien Peter Lamont soutient l’idée que la Pompe a été construite sur base des indications des habitants de l’univers parallèle. En bute à la colère de Hallam, il ne parvient à convaincre personne du danger provoqué par le transfert des atomes instables entre les deux univers. En effet, Lamont est persuadé que la force nucléaire forte de notre univers subit une altération qui pourrait déboucher sur l’explosion du Soleil et l’apparition d’un quasar. Dans une dernière tentative désespérée de prouver sa théorie, il embauche le linguiste Bronowski pour tenter de communiquer avec les habitants de l’univers parallèle. Ils reçoivent alors un message les implorant de stopper la Pompe…

Le roman est construit en trois parties distinctes, et le résumé ci-dessus n’aborde que la première d’entre elles. Celle-ci concentre une partie des qualités du style Asimov : des personnages tout en nuances, des dialogues fins et intelligents, une foule de bonnes idées, et surtout une grande maîtrise du récit. L’enchaînement des énigmes se fait de manière très naturelle, et il donne l’irrépressible envie au lecteur de tourner les pages encore et encore pour connaître la suite.

La deuxième partie est plus ardue, mais non moins passionnante. Asimov y aborde l’univers parallèle et ses habitants, et nous livre les chapitres les plus étranges de son oeuvre. Cet univers peut paraître déconcertant au début, mais il s’avère vite intrigant. Les liens avec la première partie du récit se dévoilent petit à petit, et de nouveau le lecteur va de mystères en révélations, jusqu’au saisissant dénouement de cette deuxième partie.

La troisième et dernière partie du roman nous emmène sur la Lune pour un épilogue qui s’avère finalement assez décevant, comme souvent avec Asimov. On y trouve pourtant de nouvelles bonnes idées, des vrais personnages, des situations intéressantes et un théâtre singulier. Malheureusement, après tant d’énigmes passionnantes, un suspense haletant et par moments un dépaysement d’une rare intensité, on est en droit d’attendre un final à la hauteur de toutes les qualités de ce brillant roman, et on reste un peu sur sa faim.

La frustration ressentie en refermant ce livre ne doit pas masquer l’immense plaisir qu’on prend à le lire. Prix Nebula 72 et Hugo 73, « Les Dieux eux-mêmes » est un roman indépendant des trois grands cycles d’Asimov. Il constitue aussi bien une bonne introduction à l’oeuvre d’un auteur majeur qu’une confirmation, pour le lecteur assidu, de son très grand talent de conteur d’histoires et d’univers.