C’est au fil de l’Èvre, « petit affluent inconnu de la Loire » nous dit Julien Gracq, que l’écrivain rédige cette jolie rêverie que sont Les Eaux étroites. Mi-nouvelle, mi-poème en prose, ce court texte d’à peine soixante-dix pages alterne descriptions romantiques des paysages – comme toujours chez Gracq puissamment visuelles – et introspections, souvent liées à des souvenirs d’enfance ou des lectures marquantes.
Le premier paragraphe de l’œuvre tient en quelque sorte le rôle de préface. Gracq y loue la magie puissante et rassurante de la promenade, cette « excursion sans aventure et sans imprévu qui nous ramène en quelques heures à notre point d’attache », qu’il oppose au « voyage sans idée de retour », absolu et irrévocable.
La balade au sein d’une contrée familière, suivant un cheminement souvent similaire sans être tout à fait identique à chaque fois, constitue pour lui l’occasion d’un recentrage sur soi-même, la possibilité de capter des images qui emplissent notre esprit de souvenirs familiers et comme suspendus dans le temps. Motif récurrent dans l’œuvre gracquienne, cette connexion entre l’individu et la nature qui l’entoure peuple celle-ci d’un référentiel poétique qui évoque ses humeurs et ses sensations.
Un critique littéraire avait dit de Gracq qu’il était l’un de ces auteurs capables d’abolir les frontières entre les époques, de donner à une histoire ancienne une résonnance congrue dans le présent. C’est le cas ici, lorsque l’auteur, au détour d’une falaise abrupte, y voit se dessiner la silhouette fugitive et nocturne de Marie dans Les Chouans, donnant ainsi lieu à une exquise description de cette figure entre toutes captivantes dans l’œuvre balzacienne.
L’eau, dénominateur commun à cette calme divagation onirique, fait alterner aux yeux du lecteur les paysages pittoresques et délicieusement désuets de la campagne bretonne. Comme un cabinet de curiosités naturelles dont Gracq, rompu à son arpentage, nous délivrerait pieusement les clés nécessaires à sa bucolique et pénétrante appréciation.