Il est temps.
Temps de rétablir une vérité trop longtemps égarée, de redorer le blason d'une caste d'humiliés, d'offensés, de refaire enfin la lumière sur ce terme abject, impropre, qui affuble depuis des siècles jongleurs, escamoteurs, danseurs de rue, magiciens, astrologues, illusionnistes, tous ceux qui du haut de leurs mains gorgées d'éternité remplissent la réalité d'un je ne sais quoi qui tient du rêve, tous ceux qui trompent leur prochain pour enrichir le quotidien d'un espoir magique, ces faiseurs d'étoiles qui peuplent nos nuits.
Il est temps d'absoudre les charlatans.
Fosco Zaga en est un exemple splendide. L'écouter conter ses siècles d'existence, son enfance russe mirifique occupée à peupler de son imagination la forêt de Lavrovo, ses ascendances fantastiques, le suivre dans son admiration sans bornes d'un père ayant élevé au rang d'art l'illusion et la suggestion auprès des plus grands de ce monde, c'est se perdre dans un labyrinthe aux apparences de fadaises, aux murs couverts de boniments.
Mais qu'importe la véracité de sa fable, qu'importe la place exacte de la frontière entre réalité et légende, chaque mot, chaque description enrichit ce nuage de fumée qu'il délivre sur nous, immatériel et insouciant.
Fosco aime Teresina, ses cheveux, son rire, son souvenir. Fosco aime sincèrement, définitivement, comme un enfant innocent. Et aimer une femme, c'est n'aimer qu'une seule fois.
Sa disparition fait fuir le temps, distend les secondes, les heures, les siècles, devenus entités impossibles à mesurer. Avoir aimé, c'est devenir millénaire.
Et depuis des siècles, Fosco aime, se souvient, et réinvente à chaque instant les traits fabuleux de cette douce Vénitienne venue se perdre avec lui dans les steppes de Russie.
Et qu'importe si tout ça n'est qu'artifices, escamotage, si tout n'est qu'affabulations, qu'importe si Fosco n'est qu'un roublard, si certains l'appelleraient un charlatan.
Jongleur, escamoteur, danseur, magicien, écrivain, musicien... tous ces charlatans, ces faiseurs de rêve, seuls habilités à voler quelques étoiles dans le ciel pour nous saupoudrer de leur grâce, tous sont traversés d'un génie capable de merveilles infinies qui ne cessera jamais de nous inspirer.
Fosco est de cette caste. Il y côtoie ses ancêtres, les premiers hommes à avoir voulu jongler avec des bâtons, les danseurs, les magiciens des quartiers insalubres du monde entier, mais aussi toute une bande de charlatans du réel qui nous accompagnent au quotidien. Romain Gary, Nina Simone, Louis Armstrong, Tolstoï, Steinbeck, Chopin, John Wayne, Tom Waits, Kubrick, la liste continue sans fin et comporte même quelques énergumènes peuplant nos proches contrées, tel un Djee mal rasé ou un Sergent qui n'a de militaire que le nom...
Tous ces charlatans sont des enchanteurs.
Des magiciens de la réalité, thaumaturges indiscutables, capables de l'emplir d'un élan surnaturel essentiel pour y faire face, tous sont utiles, indispensables, inestimables. Tous sont importants.
Et qu'on soit rassurés.
Rien d'important ne meurt jamais.