Croyez-moi. Croyez-moi quand j'ose jusqu'aux comparaisons les plus inattendues et échafaude des théories improbables ; croyez-moi même si je n'ai jamais rien publié ni fait de sport de ma vie ; croyez-moi. Croyez-moi quand je vous dis que, par bien des aspects, un roman peut ressembler à la carrière d'un sportif. Prenez Les enfants d'Icare de Clarke.
Datée de 1953, autant dire du tout début de l'importante production de son auteur, cette fiction met en scène l'arrivée sur Terre d'une race extraterrestre. Précisément, le livre s'ouvre sur la compétition acharnée entre les deux puissances mondiales pour la course aux étoiles, compétition interrompue par l'apparition de vastes vaisseaux spatiaux dans le ciel des principales capitales de la planète. Les visiteurs, les "Suzerains", sont pacifiques, apportent une technologie de pointe et dictent la paix, tout en s'imposant le moins possible dans la vie des terriens. D'ailleurs, personne n'est autorisé à les voir et ils annoncent qu'ils resteront cachés aux yeux des habitants pour les cinquante années à venir. Arrivé à ce point de l'intrigue, alors que l'auteur a finement analysé le contexte politique de son époque via le prisme romanesque, soulevé d'ingénieuses interrogations philosophiques ou théologiques, et posé des questions qui n'appellent pas nécessairement d'autres réponses que celles que le lecteur veut bien y apporter, il ne manquait qu'un point final.
Mais ce n'est pas si simple.
Et tout comme notre sportif, arrivé au sommet de son art, termine sa carrière dans un médiocre club de seconde division ou enchaîne les défaites contre des outsiders lors de tournois bis, le romancier n'a pas su se retirer à temps. Ainsi, il choisit de poursuivre une trame maladroite et fait un bond de cinquante ans dans le futur là où il aurait pu s'interrompre, faisant de plus partager au lecteur l'expérience de son personnage principal - lequel, sachant qu'il ne vivra pas assez longtemps pour assister à la révélation, accepte stoïquement de mourir sans savoir. Alors, non seulement la suite du roman prive le lecteur de la réflexion qu'il était appelé à mener par lui-même mais la lourdeur des réponses fournies fait retomber à la manière d'un soufflé des pistes pourtant pertinentes. L'auteur, qui était parvenu à suggérer tant de choses, décide alors de tout montrer, sans retenue, gros sabots et grosses ficelles comprises. Et il fait s'écrouler l'édifice qu'il avait habilement bâti.
Le roman perd alors toute crédibilité et ce ne sont ni ses protagonistes, dépersonnalisés et dénués de relief, ni la langue, quelconque sinon plate, qui le sauveront. J'aurais dû interrompre ma lecture avant qu'il ne soit trop tard. C'est le mieux que vous puissiez faire si vous l'entamez. Croyez-moi. Car si, heureusement, l'Histoire retiendra surtout les médailles olympiques, les podiums et les performances des grands sportifs, le public aura également assisté à leur naufrage et les aura vu s'enfoncer tristement dans le ventre mou d'un classement qui aura évolué sans eux.
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