Cette pensée fut comme un chiffon humide sur sa conscience dont la surface fut propre à nouveau.
Nombreuses sont les vies qui ne sont que des fuites hors de soi-même. Nombreux sont ceux qui préfèrent les vérités de l'écurie. Vous plongez la tête dans le râtelier et vous mâchez tout votre soûl jusqu'à votre mort. Les autres vous utilisent à leurs fins. Jamais vous ne quitterez l'écurie, jamais vous ne dressez la tête pour être vous-même.
Avant les brilleurs et les lasers, avant les ornithoptères et les récolteuses d'épice, il avait existé une autre vie : des mères à la peau brune portant leur enfant sur la hanche, des lampes qui brûlaient l'huile d'épice dans un lourd parfum de cannelle, des Naibs qui savaient convaincre leur peuple sans le contraindre. La vie était alors un essaim noir dans les creux des rochers...
Là-bas, en dessous de la falaise, il pouvait voir la ligne nette du qanat, entre la mort et la vie. Au seuil de l'oasis, les touffes de sauge, les épis de fromental, l'alfalfa sauvage et l'herbe de gobi. Dans la lumière déclinante, les oiseaux qui picoraient l'alfalfa étaient de mouvantes taches noires. Les aigrettes des graminées se couchaient au souffle du vent qui dessinait de grandes ombres mouvantes jusqu'au verger.
Le noir de la nuit, avec son silence, était une seule et simple chose, même lorsque rôdaient les terreurs en suspens. La lumière, elle, pouvait être trop de choses. Les peurs de la nuit avaient leur odeur, le bruit des choses rampantes. La nuit avait ses dimensions et tout y était amplifié. Les cornes étaient plus acérées, les lames plus aiguisées. Mais les terreurs du jour pouvaient être pires.
Dans le langage perdu, la phrase était extrêmement complexe, usant d'un complément d'objet pronominal distinct de l'infinitif. La syntaxe permettait à chaque segment intérieur de se retourner sur lui-même et d'acquérir plusieurs sens différents, chacun étant parfaitement distinct et défini bien que tous fussent interdépendants de façon subtile.
Ceux qui allaient vers le futur espéraient en ramener les numéros gagnants. Au lieu de quoi ils se trouvaient pris au piège d'une vie entière dont ils connaissaient par avance chaque battement de cœur, chaque gémissement d'angoisse.
Traduction par Michel Demuth.