Marc Levy, un auteur avec un coeur grand comme ça.
Je vous l'ai déjà dit, j'ai des amis très joueurs. Pour mon anniversaire, ils m'ont offert un livre de Marc Levy, les Enfants de la Liberté. En m'enjoignant de faire une fiche de lecture dans les 15 jours, exercice que je n'ai pas tenté depuis la sixième.
Bon, j'ai commencé le livre hier matin, j'ai lâché tout l'après-midi, j'ai repris le soir entre deux épisodes de FBI portés disparus, hop en trois-quatre heures en tout c'était plié, voilà qui est fait, presque aussi vite qu'un Yakari, et voilà, comme promis, une fiche de lecture.
Les Enfants de la Liberté, c'est une histoire de résistants. Pas les glorieux gaullistes, non, les petits, les sans-grade, des métèques que même pas ils parlent bien français, ceux qu'on connaît même pas et qu'on veut pas dire qu'ils existent parce qu'il fallait pouvoir dire que c'est des français qui ont délivré la France du joug des allemands, que même les gaullistes ils les ont laissé se faire choper pour ça et éviter qu'ils rentrent dans l'Histoire parce que c'est des gros calculateurs, c'est dire s'ils sont maintenant trop peu connus, et il fallait bien quelqu'un pour les remettre sur le piédestal qu'ils méritent.
Ce que je ne nie pas (houla non, quand même).
Heureusement pour la postérité, Marc Levy a jugé qu'il se devait de leur rendre hommage, et au plus vite, hein ! Parce qu'ils ont été oubliés trop longtemps.
Par chance, il avait justement un week-end de libre, il en a profité entre deux binages de son potager pour raconter cette histoire, vue par un jeune garçon juif, roux et myope (ce qui ne donne pas envie de se mettre dans la peau du personnage, marque d'audace de la part de l'auteur),.Un rêveur qui entre en résistance en 1940. Tellement étourdi, notre narrateur, qu'il fait des erreurs de concordance des temps, passant du passé au présent de narration dans la même phrase et oubliant qu'il n'est pas un narrateur omniscient. Hum.
Toute médisance mise bien entendu à part, je pense que Marc Lévy est profondément soucieux de ne pas traumatiser son lecteur. Il se donne donc beaucoup de mal pour désamorcer tout début d'empathie avec les personnages ou de suspense, afin de ne pas mettre notre pauvre petit cœur à l'épreuve. C'est quand même assez fort, mais dès le début, où tu pourrais éventuellement commencer à t'intéresser aux personnages, il te dit qu'ils sont morts, et comment, afin qu'on ne s'inquiète pas trop pour eux par la suite. Si ce n'est pas la marque d'un profond humanisme, je ne sais pas ce que c'est. Il se soucie même de la destinée de personnages dont il ne parle pas dans son roman. Par exemple, ce passage « si Odette avait eu ne serait-ce que les jambes de Lauren Bacall, j'aurais probablement essayé de l'embrasser [...] d'autant que c'était la veille de l'après-midi où deux nazis l'ont abattue au coin de la rue des Acacias. Depuis, je n'aime pas les acacias », ça permet d'en savoir un peu sur Odette, ce qui est bien, parce qu'on en parlera plus du tout par la suite, , alors qu'elle méritait sans doute qu'on la cite (on n'en saura malheureusement pas plus sur les relations préalables qu'il entretenait avec les acacias d'ailleurs, ça c'est un peu dommage).
Ce que je trouve mignon chez Marc Lévy, c'est son optimisme béat en ce qui concerne le genre humain, à défaut d'une compréhension minimale de la psychologie basique : la veuve éplorée d'un vil procureur tué par la Résistance parce qu'il a fait tuer un résistant (sous le prétexte « vous êtes étranger, communiste et résistant, trois raisons dont chacune suffit à ce que je demande votre tête à la cour », un vrai méchant quoi, heureusement qu'il est mort lui, mais il compte pas dans l'optimisme de Marc Levy envers le genre humain, il est là parce qu'il faut quand même un méchant) , la veuve donc, quand on lui demande si elle reconnaîtrait l'assassin, dit que « c'est possible, mais qu'elle ne le souhaiterait pas, il y a déjà eu bien trop de morts comme ça ».
Si c'est pas beau. Moi, on m'assassinerait mon mari, faudrait vraiment que je l'aime pas du tout du tout pour pas vouloir qu'on chope son assassin, quand même. Même s'il veut faire tuer des étrangers parce qu'ils sont étrangers.
On en apprend aussi sur la psychologie des résistants : « Moi, j'ai le caractère de mon père[...] Je suis une révoltée. Je n'accepte pas l'injustice » (page suivante) « Je t'ai dit que j'avais horreur de l'injustice ?» « Oui, oui, c'était il y a moins de cinq minutes, je m'en souviens très bien !».
Les résistants n'aiment pas l'injustice, contrairement aux veuves de magistrats collabos, qui s'en foutent.
Ils sont lyriques, aussi, les résistants. « Ce soir, je ne reviendrais pas, mais ce soir, les miliciens non plus ne rentreront pas chez eux. Alors, des tas de gens que nous ne connaissons pas auront gagné quelques mois de vie, quelques mois d'espoir, le temps que d'autres chiens viennent repeupler les terriers de la haine. »
« Mon frère avait le cœur d'un ange, la bouille d'un gamin. Il croyait au bien et au mal. Tu sais, j'ai compris dès le début qu'il était fichu. Avec une âme aussi pure, on ne peut pas faire la guerre. Et lui, son âme était si belle qu'elle brillait par-dessus la saleté des usines, par-dessous celle des prisons, elle éclairait les chemins d'aube, quand tu pars au boulot avec la chaleur du lit qui te colle encore dans le dos ».
« Jeannot, fais moi cette promesse : jure-moi qu'un jour tu aimeras. J'aurai tant voulu pouvoir le faire, tant voulu pouvoir aimer. Promets-moi que tu porteras un enfant dans tes bras et que dans le premier regard de vie que tu lui donneras, dans ce regard de père, tu mettras un peu de ma liberté. Alors, si tu le fais, il restera quelque chose de moi sur cette foutue terre. ».
Si ça, c'est pas une poignante déclaration d'adieu, hein ! Je suis pas sûr d'avoir tout compris, mais c'est beau.
Mais bon, voilà, ils meurent souvent, les résistants. Faut bien faire pleurer la ménagère. Heureusement, ils ont tué des méchants (« Mais nous n'avons jamais abattu un innocent, pas même un imbécile »), et on ne pleure pas trop parce qu'on était prévenus, qu'il n'y a à peu près aucune conséquence à leurs actions innombrables, que tu te demandes comment l'Allemagne avait encore des boutons d'uniforme en 1943 (des fusillés pour l'exemple ? Noooon, voyons), et que bon, on les mélange un peu tous, aussi. Puis à la fin, c'est fini, cette saloperie qu'est la guerre.
Bon, voilà, je crois que j'ai un peu fait le tour. Je raconte pas toutes les péripéties, hein, ce serait gâcher tout le plaisir d'un ouvrage essentiel et poignant, comme quand cinquante ans plus tard, deux regards se croisent, qui s'étaient auparavant croisés l'un depuis un train de déportés, l'autre dans la carlingue d'un avion de chasse anglais.
Bon, à qui je le prête ?