Quand le psychologie de comptoir devient de l'art

Il y a quelque jour à peine, j'expliquais que l'exercice de la critique m'ennuyait. Et voilà qu'aujourd'hui j'en écrit une sur Montaigne, et plus précisément sur ses essais. Et tout d'abord, il faut savoir que je n'ai rien compris à ce livre. Ou plutôt il faut savoir que je ne l'ai pas étudié. Je me suis contenté de le lire, tantôt concentré, tantôt pensant à autre choses, et me suis laissé imprégner par la poésie que dégageait sa prose sans chercher à en comprendre un quelconque sens. Mais avant toute chose, je tiens à conseiller à ce qui se hasarderont sur ce texte, de lire la version originale de Montaigne (ou plutôt une version qui s'en rapproche), bien qu'elle soit écrite d'un français à l'ancienne qui rebute, on ne peut que se laisser prendre par la sublime plume de cet auteur uniquement avec le texte original. Car même si ses pensées sont délicieuses, certes, elles ne peuvent selon moi se substituer de son talent "d'écriture" unique et indissociable de ses propos. Je conseil d'ailleurs plus précisément la version de Folio classique, édition d'Emmanuel Naya, Delphine Reguig et Alexandre Tarrête. Pourquoi celle-ci ? Il faut savoir que j'ai du lire trois versions du tome I des essais. Le premier était la version originale de l'édition de bordeaux ; c'était pas impossible à lire mais la barrière de l'âge faisait que le texte ne pouvait couler dans mon esprit avec autant d'aisance que je l'aurais souhaité, d'autant que mêmes les textes en latin et en grec n'étaient pas traduits. La seconde traduction était moderne mais trop moderne ; on perdait toute la substance des lignes chantées par Montaigne et bien que le propos soit clair et concis, il n'en était pas moins fade et sans consistance littéraire. Quant à cette troisième version, elle restaure du mieux possible la poésie des essais tout en rendant ses pensées intelligibles. Une fois le bon manuscrit en main, j'ai enfin plus plonger dans cette œuvre. Cette œuvre que je n'ai pas comprise donc. Ou plutôt pas étudiée. En fait, lorsque je dis que je n'ai pas compris ce livre, n'entendait pas par là que je me suis forcé à lire un objet hors de mes compétences. Non. Cependant, les essais sont les textes les plus denses que je n'ai pu lires. Ces lignes fourmilles de pensées, de bons mots, d'idées spontanés et nouvelles. Nous sommes alors emporté par ce courant, par ce condensé de réflexions en désordres qui se chevauchent les unes des autres. Ce texte fût dicté et travaillé sur vingt ans ? Il en faudra pas moins de vingt pour le vivre. Les essais est une œuvre vivante, on ne le bouquine pas, c'est lui qui nous parle. Tantôt incohérent, tantôt décousu, tantôt imprégné d'un élan poétique des plus profond, tantôt brouillon, mais toujours vaillant, il faut appréhender ce livre comme un ami, un ami au visage intelligent et à la réflexion intéressante à qui l'on peut demander conseil sur tel ou tel sujet et où il sera heureux de nous y donner son avis.


Dans un des chapitres, Montaigne nous explique qu'il lit, parfois, au hasard, un passage dans un livre puis retourne à ses occupations. Il s'évade dans ses livres sans intérêts aucuns, et ne se force jamais à la lecture lorsque son cœur boude l'idée. De ce fait, il semble qu'il est confectionné ce livre de la même façon qu'il est lu ceux de ses pères. C'est ainsi qu'il abat le concept de dramaturgie, de schématisation de la pensée, de philosophie planifiée et préfère polir une réflexion spontanée et sincère. N'en déplaise à ceux qui détesteraient ce mouvement artistique qu'est l'art contemporain, mais Montaigne en serait en quelque sorte un précurseur. En effet, il ne cherche pas le sens mais l'émotion, il ne cherche pas à se gargariser et à jouer les professeurs orgueilleux qui enseigne la vie, mais donne sa conception de la vie, sans morale ni leçon. De la même façon, on pourrait voir en lui le père lointain de l'absurde et de l'existentialisme faisant de cet ouvrage, selon moi, le précurseur des futurs mouvements de pensées qui ornent les siècles qui nous précèdent. En effet, il se détache de ceux qui cherchent à donner du sens pour finalement se rapprocher de la jouissance, notamment à travers l'art. Finalement, rien a vraiment de sens, ni la gloire, ni l'argent, ni la renommée 'Et au plus élevé trône du monde, si ne sommes assis que sur notre cul". Et de l'absence de sens avons nous d'autre choix que celui de "jouir la vie" ? Ne pas se prisonnier de son passé, ne pas redouter son futur et vivre le présent. Ne pas redouter la mort et ne pas vivre insouciamment d'elle. Ne pas se forcer et ne pas être un acète. Non. Juste jouir de la vie et de ce que propose notre existence et réussir à s'acclimater à notre ère afin de pouvoir y vivre heureux. Pour Montaigne, piégé dans notre condition d'homme imparfaite, mortel et éphémère, la seule chose qui compte vraiment est le bonheur que l'on se construit en fonction de notre époque et de nos gouts sans se priver de quoi que ce soit, ni sans s'engager dans des combats inutiles, en sommes, "mourir pour des idées, d'accord mais pas trop vite." Mais là est la seule faiblesse du propos de Montaigne selon moi. Il s'agit de l'art de ne pas se priver. En effet, pourquoi se priver de se qui nous fait plaisir, de ce qui nous donne envie. A l'époque de Montaigne, cette pensée est à la fois compréhensible et logique. En leurs mœurs religieuse où l'ascèse était souvent prônée, il était à contre courant d'avoir une pensée libertaire comme celle proposée dans les essais. Il dénonce la privation, et critique à plusieurs reprise les idées épicuriennes. Cependant, en son temps, ils ne pouvaient pas imaginer l'omniprésence de la publicité. Plus avant, c'est même le fléau qui a rongé l'existentialisme. Jouir de la vie, oui, mais si l'idée de jouissance est dominée par un déterminisme systémique, pouvons nous simplement et bêtement, sans éducation aucune, sans émancipation, se contenter de vivre heureux bêtement d'un bonheur empoisonner. Par exemple, si je souhaite manger un fast-food, mon être étant conditionnée par la publicité, dois-je manger là-bas ou non ? Selon Montaigne, oui. Selon moi, non. Car le gout s'éduque et bien que les essais en fassent mention, je trouve qu'il n'appuie pas assez cette idée par la suite, il en oublie le déterminisme. Jouir la vie et vivre le présent est l'idée incomplète de son livre, car il omet (partiellement tout du moins) d'apprendre à aimer, d'apprendre à jouir, d'apprendre à faire son devoir d'homme. Oui être heureux et jouir de la vie doit être l'ultime combat de tout être ; mais pour un être piégé par des forces qui le conduisent vers le malheur, que doit-t-il faire, si ce n'est attendre une main ferme et salvatrice ? Et lors de son ultime chapitre "de l'expérience", il contredit ce fait et oublie l'importance de l'apprentissage, il oublie que tout le monde n'est pas logé à la même enseigne et ne peut profiter de la vie avec une frivolité légère sans risquer, par manque d'éducation, de tomber dans les bras du malheur. A moins que, si je me fourvoyais, et qu'en réalité l'apprentissage de l'amour ne se trouvait pas dans les essais eux-mêmes, mais était l'objet lui-même, vouant ce texte à sa famille et à ses amis, afin qu'une fois mort, au delà d'être un simple souvenir, il devint le messager d'un secret sincère : celui du bonheur.

Alexandre2131
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le 28 janv. 2023

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