Domicile conjugal ?
Avec l'Amour l'après-midi, le dernier de ses Contes moraux (et le plus accessible), Rohmer réalise une véritable introspection. Mais surtout pas une psychanalyse - trop de légèreté (au moins...
Par
le 30 mai 2013
29 j'aime
7
⚠️ Une maintenance est prévue ce Mercredi 4 décembre de 9h00 à 13h. Le site sera inacessible pendant cette période.
A quoi bon noter une œuvre...ou plutôt, à quoi cela sert t'il ? En art, la note ne signifie absolument rien, elle ne peut être qu'irrémédiablement et simplement le symptôme brouillon de ce que l'objet artistique nous a fait ressentir au moment où nous étions face à lui. Parfois, cette note, entremêlée de nostalgie, gonfle. D'autre fois, lorsque nous observons de nouveau cette même œuvre, cette fois-ci armé d'une culture plus solide, cette note, baisse. Et au final, cette note dont je vous parle, ne signifie pas grand chose. Car même si l'objectivité artistique existe et elle existe ! Elle est et restera toujours mêlée à un soupçon de subjectivité lié à notre temps, à notre culture et aux hasards qui façonnent notre existence. C'est pour cela que ma note, brillantissime, ne veut absolument rien dire. Car au moment où j'écris cette "critique", j'étais le croisement même de ces deux personnages, de ce couple aux antipodes qui se rencontrent avec soudaineté. Un homme banal, tendre, enfermé dans une routine maritale, et qui rêve, parfois, souvent, d'évasion. De l'autre côté nous avons une femme, inconnue, mystérieuse, instable, qui recherche une forme d'appuie et de stabilité. Etant moi même sans activité, tantôt en proie à l'angoisse, tantôt en proie à la haine de soi, je ne peux que comprendre la détestation de la vie qu'éprouve cette femme. D'autant qu'étant piégé dans cette même routine du désir, je ne peux que comprendre cette envie d'évasion que ressent ce protagoniste, envie d'évasion narré par une sublime voix-off teintée de poésie. Et même si ce film est loin d'être parfait en soit, même s'il est orné de quelque défauts, certaines scènes, certains mots, ont eu raison de moi et ont su transcender mon âme au point où ma note finale ne peut être qu'un 10. Un 10 qui ne signifie donc rien. En revanche, même s'il est vrai qu'en art la notation est vide de sens, il existe tout de même un moyen de "classer" une œuvre ; et c'est la critique, qui elle, dénuée du moindre chiffres froids et vains et uniquement composée de mots polysémiques, permet de pouvoir donner un indicatif plus ou moins fiable sur la qualité d'une création.
Je m'essaie rarement à la critique, non pas que je n'ai rien à dire, mais plutôt que je trouve qu'il y a une perte de temps effarante à vouloir penser un objet (en l'occurrence ici un film), qui ne demande qu'à être vécu. La critique possède en elle même comme seule fonction de légitimer le grand art et de délégitimer la médiocrité et en soit, si sa fonction était d'instruire la jeunesse, de guider les puceaux misomuses dans le monde de l'art vers ce quoi ils doivent regarder, cela serait une excellente idée. Cependant, ce rôle est biaisé et cela depuis bien longtemps et la critique n'a plus que pour mission, celle de pouvoir donner à un tel ou un tel une sorte de mérite pour que ce dernier puisse se pavaner avec sa tenue d'artiste guignolesque. Mais ici, pour une fois, je m'adonne à cette exercice par pur caprice. Pourquoi ce film et pas un autre ? Est-il spécial pour moi ? Est il mon film préféré ? A t'il une signification particulière ? Non. Disons que c'est juste l'œuvre du hasard et que par ce beau soir d'hiver, sans raisons particulières, une envie soudaine et spontané de rendre hommage à ce film me vint. Je vais faire court car il est tard, que demain je me lève tôt et qu'en plus, j'ai tout aussi soudainement la flemme de rendre ce fameux hommage. Disons que cette critique ne sera pas vraiment académique.
Dans ce film, les images bougent au rythme de la sublime prose narrée par une délicieuse voix suave. Cette fluidité, ce rythme imposé par les images fonctionne. Cela nous embarque rapidement dans le film et nous permet de rentrer directement en empathie avec le personnage. Ensuite, c'est par son regard qu'il nous charme. Un coup timide, un coup insistant, on sans que Rohmer sait faire jouer ses acteurs car nous ressentons immédiatement une sorte de bienveillance à l'égard de cet homme simple et sans grand caractère. D'ailleurs, son côté monsieur tout le monde permet de donner encore plus de poids à l'immersion sentimentale dans laquelle veut nous faire plonger le réalisateur. En quelque minutes à peine, nous ne voyons plus un personnage quelconque à travers l'écran mais nous même. Un bureau commun, des trajets communs, une vie de famille commune et la moindre femme (ici la femme est vue comme une aventure émancipatrice) est vu par nous, spectateur, comme un élément dramaturgique. Il nous piège alors avec ses secrétaires puis avec la vendeuse et nous frustre presque par le manque de drame de ces passages là. Frédérique nous parle ensuite de ses rêves, ou plutôt de ses fantasmes dans lesquels toute femmes qu'il croise tombent sous son charme comme par magie. Une sorte de fantasme masculin de la première heure, fantasme grossier, néanmoins bien mis en scène même si la cadence du montage ici manque de subtilité (ou alors est trop subtile), dans tout les cas, il y a un manque ici qui rend la scène burlesque et qui nous sort du ton du film plutôt mélancolique dans lequel nous somme plongé. C'est alors qu'intervient le personnage de Chloé, sublime femme aux airs enjôleurs qui se retrouve dans le bureau du protagoniste, sans raisons, juste comme ça, comme si nous étions dans un rêve, presque comme si nous étions dans un des fantasmes de notre héros. Le film se décomposera ensuite en deux parties et prendra le partie prix du manichéisme en mettant d'abord en scène un homme distant qui se fait piéger tandis que la séductrice finit par le fuir. Puis racontant plus ou moins l'inverse dans la seconde partie. Le film se finit alors sur le protagoniste souhaitant se réveiller de son fantasme en revenant vers sa femme. Finalement, nous avons un homme enchainé par sa morale, qui l'empêche d'aller au bout de ses fantasmes et qui finit par se repentir pour ses fautes dans un final un peu maladroit bien que je vois où il souhaite en venir. En soit, le film manque légèrement de nuance dans sa dramaturgie, certes, cependant, en terme de réalisation il reste très bon. L'amour entre les deux personnages semble vrai, les moments de tendresses sont bien montré par une caméra rapproché qui glisse au bon moment, une caméra qui nous dévoile des scènes longues et gauches (sans être vulgaire, au contraire) nous faisant éprouver presque l'envie de retomber amoureux. Et je pense qu'il s'agit là du parie du réalisateur. Son objectif est belle et bien de d'abord, nous faire sentir proche de ce personnage, puis de confronter ce dernier à un dilemme moral entre la fidélité et l'envie et donc de nous confronter nous à ce même dilemme. Et finalement c'est dans la douleur que la morale va l'emporter face à la liberté. Cet anti-héros devient alors une personne pathétique, qui a presque peur de vivre et qui préfère rester sur les rails de sa vie, craignant dorénavant l'idée de pouvoir être libre à nouveau. De ce fait, ce héros contradictoire (car il prône la liberté à plusieurs reprises), n'est finalement qu'un homme enchainé, un homme enchainé qui a peur d'être libre, qui a peur de ces moments de récréation que lui laissent les après-midis.
Créée
le 24 janv. 2023
Critique lue 12 fois
D'autres avis sur L'Amour l'après-midi
Avec l'Amour l'après-midi, le dernier de ses Contes moraux (et le plus accessible), Rohmer réalise une véritable introspection. Mais surtout pas une psychanalyse - trop de légèreté (au moins...
Par
le 30 mai 2013
29 j'aime
7
D'habitude, la réalisation d'Eric Rohmer, ne laissant pour ainsi dire que la place à des dialogues littéraires, sonnant faux, m'emmerde profondément. Mais il y a quelque chose qui m'a touché ici dans...
Par
le 25 juil. 2022
16 j'aime
6
Les filles sont belles l'après midi, comme dans un rêve. Les filles sont belles, Frederic le sait, il aime à quitter son bureau, ses jolies secretaires pour se promener, se laisser à l'envie de les...
Par
le 5 oct. 2012
14 j'aime
8
Du même critique
Au delà de la nullité de la série, j’ai l’occasion ici de parler plutôt du problème des séries Netflix. En effet, je trouve que cette série retranscrit à merveille comment Netflix use de...
le 18 sept. 2023
Il y a quelque jour à peine, j'expliquais que l'exercice de la critique m'ennuyait. Et voilà qu'aujourd'hui j'en écrit une sur Montaigne, et plus précisément sur ses essais. Et tout d'abord, il faut...
le 28 janv. 2023
A quoi bon noter une œuvre...ou plutôt, à quoi cela sert t'il ? En art, la note ne signifie absolument rien, elle ne peut être qu'irrémédiablement et simplement le symptôme brouillon de ce que...
le 24 janv. 2023