Ce livre plutôt mince m’a titillé par sa présentation en quatrième de couverture. Il s’agit d’une pièce de théâtre (récente) qui débute sur la chaîne de découpe d’un abattoir. Ce jour-là, parmi les vaches, les employés découvrent avec stupeur une femme suspendue à un crochet la tête en bas, morte. Il s’agit d’une employée de l’abattoir, semble-t-il tombée par inadvertance de son poste de travail situé en hauteur.
Abasourdis, ses collègues hésitent à réagir, mais ils n’en pensent pas moins. Ils considèrent que l’accident est dû aux cadences de travail. Même accidentelle, cette mort constitue la goutte d’eau qui fait déborder le vase et il faut faire grève pour réclamer de meilleures conditions de travail. Par contre, porter des revendications à la direction ne tente personne. Tous pensent qu’ils risquent leur place.
Faustine Noguès qui a écrit cette pièce a un vécu qui la sensibilise fortement à l’aspect social des situations. Avec la compagnie qu’elle dirige, elle a mis en scène cette pièce pour sa première, lors d’un spectacle en 2024.
Le texte lui-même est plutôt court (durée de lecture : environ 45 minutes) et la pièce ne comprend que peu de personnages : Moël, Trip, Lang, Peau, Gorge et Fess soit 6 employé.e.s de l’abattoir, une voix, la directrice, la voix du possesseur et les vaches. Autant dire que Faustine Noguès avait certainement en tête sa mise en scène en élaborant sa pièce. Ce qui ne l’empêche pas de penser à l’avenir, car le livre précise les conditions d’éventuelles représentations par d’autres troupes intéressées par le texte.
Il ne faut pas négliger quelques difficultés, car par exemple les vaches sont bien présentes, même si leurs déplacements inattendus à la fin ne sont que décrits par le texte. Il faut également penser à l’employée suspendue à « son » crochet. Il faut un minimum de réalisme mais pas trop. En effet, bien que mort, le personnage s’exprime plusieurs fois sous forme de monologues qui précisent la situation. Moins compliqué, mais nécessitant un peu de matériel, la directrice de l’usine communique avec son possesseur par vidéo. Enfin la voix indiquée parmi les personnages est celle d’une personne indéterminée parmi les employé.e.s. Cette voix se fait entendre lorsque le groupe vient voir la directrice pour exprimer ses revendications. La directrice cherche évidemment à identifier à qui correspond cette voix, sans jamais y parvenir. Il faut donc un système suffisamment subtil et une bonne coordination entre les acteurs et la personne chargée de toute la technique en coulisses. En effet, la directrice arrive à la conclusion que parmi les employé.e.s figure une personne ventriloque. A noter au passage que Faustine Noguès précise que les différents rôles peuvent être joués indifféremment par des hommes ou des femmes. Il suffit pour cela de penser aux petites modifications à apporter au texte, ce qui ne devrait présenter aucune difficulté particulière. Autre avantage, cette pièce peut se monter par une troupe de moyenne importance.
L’intérêt de cette pièce est qu’elle aborde de nombreux sujets sensibles dans la société d’aujourd’hui : la condition au travail, les rapports direction/employés, la volonté de faire du business avec tout ce que cela implique, les rapports entre individus dans notre société, la condition animale et comment nous humains l’acceptons au quotidien, etc. De plus, Faustine Noguès rend son texte original par quelques dialogues de forme poétique et elle s’arrange pour nous surprendre avec un final qui ne manque pas d’humour. On notera les noms des employé.e.s de l’abattoir avec leurs références anatomiques qui ne distinguent pas les humains des animaux. On appréciera le comportement des vaches, animaux placides par excellence. Et on remarquera le vécu de la directrice, apparemment très comparable à celui de Faustine Noguès, sauf que cette femme dirige désormais une sorte de point névralgique de la société de consommation (dont le fonctionnement est particulièrement lié à la notion de rendement), alors que Faustine Noguès fait du théâtre destiné à nous faire réfléchir à l’organisation de la société, une troupe de théâtre constituant elle-même une micro-société. Le petit regret, c’est que la brièveté du texte le limite plus ou moins à un exposé de la situation en nous indiquant des pistes de réflexion, mais sans chercher à trop creuser. A mon avis, la pièce peut prendre une dimension supérieure quand on la joue, avec tous les effets de mise en scène imaginables.