L’ère victorienne (1837-1901) est l’âge d’or du fantôme anglais. Les auteurs les plus talentueux de l’époque se sont essayés au genre fantastique, qui peut être vu comme l’exutoire d’une société trop rigide et conservatrice.
Avec ce livre entre les mains, vous avez de quoi passer un moment agréable de lecture, même si, à mon avis, les onze nouvelles retenues ici sont globalement moins originales et moins réussies que celles du recueil de Jacques Finné, « Les fantômes des victoriennes » (voir ma critique sur cette anthologie).
Les amateurs du genre apprécieront toutefois de retrouver quelques grands noms du fantastique anglais - Dickens, Doyle, Le Fanu ou Wilkie Collins- et de découvrir les « ghost stories » d’auteurs moins célèbres.
Voici en quelques paragraphes ce qui vous attend dans cette anthologie, dont les récits sont traduits et rassemblés par par Jean-Pierre Krémer. Contrairement à l'éditeur, je ne les ai pas classés par ordre chronologique, mais selon mes préférences personnelles: de la meilleure nouvelle à la moins réussie; il s’agit donc d’un classement purement subjectif.
-« Neuf heures ! » (Wilkie Collins, 1852)
Cette histoire met en jeu les prémonitions et la malédiction qui frappe toute une famille. Le cadre en est la Révolution française à l’époque de la Terreur. C’est à mon sens l’une des nouvelles les plus réussies et les plus effrayantes du recueil.
-« Le fantôme et le rebouteux » (Joseph Sheridan Le Fanu, 1880)
Une nouvelle intéressante parce qu’elle traite d’une vieille superstition irlandaise : le dernier défunt enterré doit pourvoir aux autres morts du cimetière de quoi étancher leur soif. A partir de cette idée, Le Fanu met en scène un rebouteux (comprenez : un guérisseur des campagnes) qui bien malgré lui se voit contraint de soigner un spectre.
-« La chance du Laird" (Arthur Quiller-Couch, 1901)
Malgré quelques longueurs, cette nouvelle aborde un thème original. Un jeune laird [comprenez: propriétaire terrien écossais], dernier descendant de la famille McKenzie, vit dans une grande solitude dans son manoir. Ses seuls compagnons sont deux vieux domestiques. On apprend vite que le jeune McKenzie a le don de se faire des ennemis, tant sur ses terres qu’au régiment qu’il rejoint pendant les guerres napoléoniennes. Accusé de vol et de tricherie, il connaît pourtant une mort honorable au service de son pays. C’est alors que son colonel retourne sur la terre des McKenzie pour élucider le mystère : il découvre ainsi que la vie du défunt était étroitement liée à une présence surnaturelle.
-« Le spectre de la visiteuse » (Anonyme, 1878)
Une infirmière est appelée au chevet d'un jeune homme mourant; mais tandis qu'elle le veille, elle est témoin d'étranges apparitions: une femme voilée se penche soir après soir au-dessus du malade, empirant à chaque fois son état. La nouvelle culmine par une scène d’horreur. La fin est ambiguë car elle laisse un doute quant à l'identité de la femme voilée: est-ce une personnification de la Mort, un spectre assouvissant sa vengeance personnelle ou tout simplement une hallucination de l'infirmière - qui a une fâcheuse tendance à somnoler?
-« Le fantôme dans la chambre de la mariée » (Charles Dickens, 1857)
Un criminel est condamné à hanter une maison sous la forme d’un ou même de plusieurs vieillards. L’histoire est très sombre. Elle rappelle un peu les apparitions qui hantent Scrooge dans « Un conte de Noël », du même auteur. Mais cette nouvelle me semble par certains aspects TROP étrange pour être tout à fait réussie.
-« L’omnibus céleste » (E.M. Forester, 1908)
La nouvelle est originale car, même si elle reprend le thème traditionnel du cocher en route vers un autre monde, il y a ici des références à la mythologie. J’ai trouvé cependant que l’auteur privilégie un peu trop l’érudition. L’atmosphère se rapproche davantage d’un récit de « fantasy ». Dommage, l’idée d’une route vers le Paradis était séduisante.
-« Quand j’étais mort » (Vincent O’Sullivan, 1896)
C’est une nouvelle traditionnelle sur le thème du mort qui n’accepte pas son décès. Le style est agréable mais la fin quelque peu prévisible.
-« Comment c’est arrivé » (Conan Doyle, 1892)
Encore une variante sur le thème du passage dans l’au-delà. Tout comme dans la nouvelle précédente, le récit est à la première personne. Mais fi des vieux cabs et autres omnibus. Conan Doyle fait preuve de modernité en introduisant dans son récit un objet fort rare à l’époque : l’automobile.
-« La maison qui s’est évanouie » (Bernard Capes, 1899)
Le soir de Noël, dans une auberge, un ivrogne raconte comment son père est parvenu à faire disparaître des revenants et même toute leur maisonnée, en buvant un verre. Cette nouvelle a une ambiance inquiétante (des hommes perdus dans la neige, un manoir sorti de nulle part) et un goût de sang...
-« Les fantômes et la partie de football » (Patrick Kennedy, 1866)
Il s’agit d’une histoire courte et classique de fantômes qui viennent réparer leurs erreurs passées. Rien de très original si ce n’est le football. Mais on ne voit pas très bien le lien entre ce sport et ce que révèlent les fantômes.
-« Un théâtre dans la lande » (George Moore, 1903).
Un prêtre décide de construire un théâtre en pleine campagne anglaise. Mais la tempête ravage le bâtiment avant même qu'il soit achevé. Châtiment divin? Peut-être. Car tous les habitants du village n'ont pas la conscience en paix et il arrive de croiser dans la lande le fantôme d'un nourrisson assassiné.
Au final il s’agit d’une lecture sympathique, mais les nouvelles choisies sont, me semble-t-il, d’une qualité inégale.
A la fin du recueil, vous trouverez des éclaircissements sur les divers auteurs présentés ici, ainsi que sur leurs œuvres.
Ce n'est pas inutile, car certains de ces écrivains victoriens sont quelque peu tombés dans l'oubli.