Intense en amour, intense en imagination, intense jusque dans la mort...

Il était grand, ténébreux, sauvage. Elle était vive, mystérieuse, intense. Ils furent le couple le plus tortueux et puissant de la littérature anglo-saxonne. Sur eux, des essais, études, critiques littéraires, et autres écrits en une quantité surpassant leurs propres créations.


Ted Hughes et Sylvia Plath, la passion animale, la folie créatrice, l’amour incontrôlable, la mort spectaculaire.


Comment donc suis-je tombée sur ce roman d’une auteure dont je n’avais jamais entendu parler, racontant la vie de deux poètes que je ne connais que de nom ? Tout simplement et comme toujours, grâce à un (ou plutôt, cette fois, une) libraire.


Cette nouvelle libraire m’a donc cerné : “vous avez l’air d’aimer les romans qui parlent de création, de gens en train de créer, d’écrire ou de peindre ?”. Et voilà, elle a compris (ça entre autres choses), et elle m’a mis entre les mains cette petite merveille.


Bon, petite merveille, ça n’est pas ce que je me suis dit au début. Le côté triangle amoureux déjà, plutôt bof. Puis le début de cette histoire, un peu confus. Qui donc est le narrateur de ces premières pages ? Et ces sauts dans le temps, vers qui, vers quoi ?


Quelques difficultés à plonger dans ce récit donc, puis finalement, la curiosité. Pas comme la curiosité intense qu’on éprouve quand on lit un bon polar, plutôt une curiosité liée justement à ce mélange des narrateurs, des dates, des personnages, des lieux. Une envie de tous les connaître d’abord, puis une envie de les comprendre plus que de savoir ce qui leur arrive.


Ce qui leur arrive, pas besoin de lire le roman pour le savoir, leur histoire est assez connue, trouvable en deux clics sur Wikipedia ou ailleurs. Là, elle n’est pas triturée par l’auteure qui respecte la chronologie et nous livre une biographie assez précise des événements historiques réels : Sylvia, l’étudiante américaine, la femme oiseau, rencontre Ted, le poète anglais, alors qu’elle est étudiante à Cambridge. Vite, ils s’aiment passionnément, férocement même, et vite ils se marient, s’installent à Londres. Vite encore, Sylvia tombe enceinte une fois, puis deux. Et toujours aussi vite, Ted se lasse. La vie de famille, la monotonie, l’enfermement. Partie, enfuie l’inspiration, quand on ramasse des pommes, calfeutre des fenêtres, lange des bébés… Ted abandonne Sylvia, repart pour Londres et sa vie sauvage, rejoint la femme panthère, Assia. Et tout recommence.


Le roman ne questionne pas, ne résout pas. Et nous ne jugeons pas. Pourquoi se demander si Ted est à la source de toutes ces morts, ou pourquoi ces femmes ont coulé sans son ancrage, pourquoi la passion créatrice a dévoré l’amour, les femmes, les vies ?


La force de ce roman, c’est ce choix de donner la parole à une multitudes de personnages. Les célèbres Ted Hughes et Sylvia Plath d’abord, puis, plus tard, l’autre femme. La panthère qui remplace l’oiseau fou, Assia Wevill. Et autour de ce trio fascinant, les personnages secondaires, parents, frères et sœurs, amis, infirmière ou nurse, qui racontent de petits épisodes et éclairent cette sombre histoire dans laquelle les morts se suivent et se ressemblent, parfois.


Malgré cette multitude de voix, malgré une hésitation au début de l’histoire, on comprend vite que Ted en est le personnage principal, le personnage le plus mystérieux, l’inconnu, ce braconnier.


Pourquoi braconnier ? Parce que la part animale de cet homme est celle qui attire, qui insuffle la magie, la puissance chez ces femmes. Et c’est également elle qui les brûle, les noie dans son intensité, sa folie.


Mais si Ted est le survivant, celui qui reste et qui clôture le roman, Sylvia et Assia ont une présence, un force incroyable. Avec des chapitres courts qui sont autant de témoignages, lettres, journaux intimes, on reconstitue l’histoire, on perce une part du mystère. Et on partage les angoisses, les terreurs, la passion et la folie (amoureuse, créatrice, sauvage) de ces femmes.


Mais ces femmes, cet homme, ces amours et ces poèmes, ça n’est pas vraiment ce qui fait la force de ce roman. J’avoue m’être demandé pendant toute ma lecture : mais pourquoi je lis ce roman ? Certes le style est attirant, les chapitres, les phrases sont rythmés, dynamiques, parfaits pour raconter ces rebondissements, cette course effrénée vers l’amour, la création, la perfection, la destruction. Mais cette histoire, pourquoi m’attire t-elle ?


Difficile à dire. Peut-être parce qu’elle est aussi forte et intense que les vies qu’elle raconte, elle nous entraîne dans un tumulte auquel on ne s’attend pas. Au début, on lit une histoire d’amour passionnelle, deux amants poètes, une fusion parfaite, un amour tout aussi bien physique qu’intellectuel.


Puis on dérive, peu à peu, vers les angoisses, les questionnements : l’enfantement, la maternité, les enfants, le quotidien, l’amour au milieu de tout ça. Puis l’abandon, la peur, la relation au père, à la mère, et encore l’amour au milieu.


L’amour de la fille pour un père, les souvenirs confus, traîtres, qui conduisent à l’idôlatrie, puis la haine, le rejet, la vengeance. L’amour pour la mère, si parfaite et si intrusive, envahissante, oppressante.


Et l’amour d’une femme pour un homme, ou plutôt des femmes pour un homme. Le même amour puissant et animal, qui conduit à la folie, au désespoir. Et l’amour de l’homme pour les femmes, toutes les femmes, surtout les femmes abîmées, parce que celle-ci sont plus puissantes, peut-être plus muses ou plus artistes que les autres.


Des tonnes et des tonnes de questions, sur l’amour et le couple, la création artistiques, la nature, l’expression et la créativité, la relation entre l’art et la vie s’inspirant l’un l’autre, peut-être.


Et finalement, le partage de cet art, cette envie de découvrir la poésie de ces artistes, de plonger dans ces recueils torturés, bestiaux, agressifs. Et de les découvrir à travers elle, si tant est que leur poésie est ce que l’on croit, un miroir de leur âme…


Un très beau roman biographique qui a le mérite de faire découvrir ou redécouvrir deux artistes poètes, retracer leurs vies tumultueuses et offrir cette interprétation de leur art qui a probablement consumé l’amour et la vie. Créer toujours plus fort, plus parfait, à quel prix…


À lire aussi, avec plein d'autres, sur : http://www.demain-les-gobelins.com/les-femmes-du-braconnier/

GobelinDuMatin
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le 29 mars 2017

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