Guide de haute montagne, Rémy affiche un goût de plus en plus net pour l’hédonisme : loin de lui la recherche de l’exploit et le goût des grandes courses classiques, ce qui le motive est le plaisir immédiat de la grimpe pure, dont il a fait sa spécialité. Tout comme d’ailleurs les succès faciles auprès de ses clientes. Une rencontre vient toutefois troubler sa routine. Laure est parisienne, découvre l’alpinisme avec passion, mais évolue dans un milieu bourgeois à cent lieues du quotidien d’un village alpin. Amoureux, Rémy n’hésite pas à quitter ses montagnes pour la capitale...
Il n'aurait pu s’agir que d’une banale histoire d’amour, si elle n’était vouée à s’épanouir que dans l’atmosphère sublime et dangereuse de la haute montagne. Seigneur en ses terres, Rémy découvre en effet, à ses dépens, qu’il n’est personne sur la place parisienne, et que les différences de milieu et d’éducation, surtout en défaveur de l’homme, ont tôt fait de réduire un amour en cendres. Pour s’entendre, ces deux-là ont besoin d’altitude et de passion commune, et il leur faudra le naufrage d’une existence ordinaire pour mesurer à quel point ils dépérissent loin de leur vrai milieu d’appartenance : la montagne et son étrange alchimie, seule capable de les révéler à eux-mêmes en les affranchissant de tout faux-semblant social ou économique.
A travers ces deux personnages semblables à des fleurs coupées lorsqu’ils quittent leurs versants alpins, le roman oppose les artifices d’une société hiérarchisée par l’argent et aveuglée par les illusions qu’il procure, à l’impassible immobilité de la montagne, qui, par ses grandeurs, ses rudesses et ses dangers, a vite fait de vous ramener à la conscience de votre humilité et de dénuder votre véritable force d’âme. Dans cet environnement exigeant qui a toujours le dernier mot, il n’est point de mensonge ni de forfanterie qui tiennent, c’est l’homme dans sa plus simple expression qui prend conscience de la magie comme de la fragilité de la vie, et qui se met à en éprouver chaque instant avec davantage d’intensité.
Avec ce chant d’amour à la vraie montagne, celle de la périlleuse et âpre beauté des cimes, loin du clinquant et de la frime de certaines de ses stations, Jean-Christophe Rufin réussit son pari de renouer avec la littérature de montagne la plus pure, comme dans une version moderne de Frison-Roche. Et c’est avec le plus grand plaisir que l’on goûte avec lui cette ivresse des sommets, qu’il connaît si bien pour l’avoir expérimentée.
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