Ce roman est l'histoire d'une crise sanitaire qui est aussi une crise morale. Alors qu'un pays est touché par une vague de suicides sans précédent, la population panique et les autorités déboussolées ne savent plus quelle mauvaise solution choisir. On ne peut qu'être frappé par la résonnance du sujet avec l'actualité...
Au-delà de l'histoire, l'originalité du livre tient dans son écriture. Le récit est centré sur un personnage, Jérémiade, dont on suit le destin dans ce monde en crise. Jérémiade est une "Fragile", le nom que les éléments bien-portants de la société donnent aux suicidaires et à toute personne dont le mal-être apparent pourrait laisser craindre un passage à l'acte. En ce concentrant sur une trajectoire personnelle, plutôt que sur la description d'un monde en crise, le roman échappe habilement aux lourdeurs du roman dystopique. Sans jamais tomber dans le démonstratif, il arrive à garder une voix intimiste, émouvante et nuancée.
À travers Jérémiade et son entourage, l'auteur déroule en douceur et avec humour des thématiques lourdes qui pourraient facilement être plombantes : le mal-être existentiel, l'impuissance face au malheur des autres et l'hostilité qu'il peut même susciter. Dans le livre, les bien-portants craignent les Fragiles plus qu'ils ne les plaignent, car ils les confrontent à leur propre fragilité. Dans une époque où les injonctions des médias et de la publicité font du bonheur un devoir plus qu'un droit, cette possibilité du malheur est insupportable et peut nous conduire à prendre les pires décisions.
La lourdeur du sujet est heureusement équilibrée par la légèreté de l'héroïne. Jérémiade est touchante, sensible, à la fois lucide et inconséquente. La conclusion du récit, inattendue et symbolique, apporte une lueur d'espoir dans un monde bien sombre. Bien plus que sa fragilité, c'est finalement la liberté du personnage qui impressionne.
Il faut un sacré travail d'écriture pour faire d'un sujet aussi grave un récit distrayant et même palpitant. La vivacité de son style et l'actualité de son histoire, font des Fragiles un premier roman remarquable et de Maud Robaglia une nouvelle plume prometteuse.