Développement et réussite
Il m'apparaît difficile d'être totalement objectif sur ce tome d'Ewilan. En effet, « Les Frontières de Glace » ont été mon premier tome de cette fabuleuse saga qui a bercé mon adolescence. Etrange cadeau, n'est ce pas, de ne pas commencer par le début. Pourtant, grâce à cette expérience, je peux souligner une qualité peu visible de ce tome : c'est l'aisance avec laquelle on entre dans cette histoire. Même ignorant des aventures du premier tome, la brève introduction suivit d'une narration des plus linéaires permet au lecteur d'entrer avec délicatesse dans le monde que Pierre Bottero nous peint.
J'ai déjà écris une critique du tome 1, auquel je reprochais mille et une petite chose, notamment la complexité du monde de Gwendalavir que Bottero n'a pas le temps de développer comme il se devrait. Les personnages n'étaient pas non plus toujours bien maitrisés, et je l'ai vivement regretté. Je rassure immédiatement les fanboys (ou fangirls) un peu hardcore, ce tome pâlit à tous ses défauts avec une exigence telle que je suppose que Pierre Bottero lui-même avait vu ces défauts.
Une brève remarque me vient au lèvre vis à vis des débuts de chapitres. Chaque chapitre a une citation à son début. Très courte, elle permet cependant de développer l'univers de Gwendalavir, à la fois dans les informations qui sont donnés (souvent la faune et la flore, ce qui permet de complexifier cet univers) mais aussi dans la personne qui donne l'information, on a donc un développement du personnage de Merwyn (être légendaire dont il est fait de multiple fois mentions), mais aussi et surtout Elis Mil'Truif et Maître Carboist, respectivement professeur de l'Art du Dessin et chef d'une confrérie de rêveur. Ces deux personnages sont entraperçus dans le livre et on souffre de n'avoir que le point de vue de Camille/Ewilan. Ces petits ajouts permettent de mieux cerner leurs personnalités. Une excellente idée de Pierre Bottero.
Je souligne également que le développement de cet univers ne se fait pas sur le récit à proprement parler. Plus d'une fois il est sous-entendu qu'un autre chemin aurait été possible pour la petite confrérie. Pourtant l'on doit renoncer à la découverte des Bruleurs et autres créatures fantastiques. Malgré cela, Bottero a trouvé une parade pour développer son univers à travers ses personnages : il les fait parler ! De tout et de rien, de leur monde, des endroits où ils ont grandi, etc … Deux conséquences directes :la première est que du coup, Gwendalavir prend des couleurs, l'univers en question se fait plus clair dans la tête du lecteur et c'est un véritable plaisir. Second avantage, et pas des moindres, la petite troupe devient très vivante, très agréables grâce à de multiples conversations qui font l'âme de la bande. On s'attache encore plus à cette joyeuse troupe et très vite le lecteur fait également parti de l'aventure.
La compagnie est rejointe par deux personnages, Artis Valpierre, un rêveur (personne capable de soigner les gens par l'art du dessin) et Chiam Vite, un fael (croissement entre un hobbit pour la taille et un elfe pour la beauté, l'élégance, la compréhension de la nature, etc …). Ces deux personnages sont intéressants dans le sens où Chiam Vite permet un regard critique sur la condition humaine tout en ajoutant une bonne dose d'humour. Pour Artis, même si le personnage s’épaissit au fur et à mesure du texte, son principal intérêt est d'être le médecin de la troupe. Tous ceux qui auront joué à des MMORPG sauront à quel point ce genre de caractéristique est apprécié.
Globalement les autres personnages sont également bien plus développés que dans le premier tome. Duom, le vieillard, de par ses faibles capacités physique permet à Bottero d'ancrer son récit dans la réalité sans qu'on imagine que tous ses personnages soient des surhommes. Car oui, on a le droit à du mutant dans l'histoire. Bjorn et Maniel sont clairement la force brute du groupe, on peut regretter qu'en combat les deux se ressemblent tellement qu'ils sont souvent indifférenciés. D'ailleurs de manière globale, Bjorn apparaît comme un Maniel plus sociable, voilà tout. Dommage pour cela. Ellana, la marchombre, continue dans son parcours, on sent que Bottero l'apprécie tout particulièrement. Il l'a fait à la fois confiante, prétentieuse, agressive, courageuse, digne de confiance et téméraire. Un bouquet exquis qui permet vite de cerner le personnage et de comprendre qu'elle est tout en nuance et n'est pas aussi « pure » que le reste de la bande.
En parlant de pureté et de force, on peut souligner Edwin, qui gagne également beaucoup dans ce tome. Son personnage devient plus intéressant, premièrement par la remise en question de son statut de chef, deuxièmement par sa relation avec Ewilan qui se développe. Edwin est la figure paternelle et protectrice donc Ewilan a besoin. Je me permet d'inclure ici une remarque qui ne tient pas trop du spoiler mais quand même … A la lecture des deux trilogies que sont La Quête et Les Mondes, on peut remarquer qu'Ewilan semble plus proche et passer plus de temps avec Edwin qu'avec ses propres parents (encore portés disparus dans Les Frontières de Glace). Je me permet ainsi de faire un parallèle avec un élément soulevé de manière très discrète dans Les Mondes : Ewilan aime ses parents biologiques mais n'a finalement rien vécus avec eux, du coup il ne peut y avoir de véritable relation très proche entre eux. Edwin lui est apparu à une époque où elle était sans parents, perdu, déboussolée, il est son ange protecteur. De la même façon, Ewilan est l'image de sa propre mère, Edwin voit en elle la fille qu'il aurait pu avoir. Leur relation est pour moi la plus familiale de toutes, car ça nous montre une relation père-fille non unie par le sang. Cette relation commence dès ce tome là et c'est, à mon sens, l'une des 2 plus belles relations de l'histoire.
La seconde, vous l'aurez deviné, concerne Salim et Ewilan. Là les personnages sont moins développés que dans le premier tome. Pas la peine, ils l'étaient bien assez. C'est donc plutôt leur confrontation à ce monde étrange où la mort et la guerre règnent en maîtresses que Bottero cherche à nous dépeindre. Salim est toujours aussi attachant, plus encore même. Gagnant en assurance réelle (et non plus feinte), en utilité, mais aussi en émotion. Ewilan aussi est des plus intéressante, paraissant moins prétentieuse et hautaine que dans le tome 1, elle n'est plus énervante mais devient des plus attachantes. Ce petit duo est toujours si plaisant à voir à travers les pages, on ne s'en lasse pas.
Malheureusement, une histoire, ce n'est pas que des personnages, c'est aussi un développement, un scénario. Et là je regrette profondément la narration, totalement inégale qu'a choisit Pierre Bottero. Pour simplifier, les deux tiers du livre sont le voyage jusqu'à Al-Jeit, capital de l'empire. Puis le reste du livre est pour le reste du voyage (à peu près 3 fois plus long) et la délivrance des Sentinelles. Bon, autant la rapidité de cet énorme périple ne me gène pas trop. En réalité, la nette majorité est parcourue en bateau et n'est donc pas forcément des plus longues. Autant, la rescousse des Sentinelles, ponctués par un combat contre 50 guerriers Raïs et 4 Ts'Liches, ça, on aurait put prendre du temps pour cela. Je ne parle même pas du « combat » contre Le Gardien et de la fin de la quête qui se termine en 2 pages, je sais que c'est rapide à réaliser et que le plus dur était d'arriver juqu'à Al-Poll, mais quand même ?!
Au final, Salim souligne lui-même le soucis, comme si Pierre Bottero en avait conscience « on aurait dit un pétard mouillé », et même si maître Duom explique que seuls les dessinateurs ont pu voir l'aspect grandiose de la scène, on regrette que les lecteurs, peut-être plus terre-à-terre n'aient pas pu en profiter. Au final, on retrouve un message important chez Bottero : l'important n'est pas le nombre de mot, mais la manière dont il font vibrer l'âme du lecteur un peu rêveur. Je ne suis malheureusement pas assez dans les rêves pour me laisser emporter, mais je comprend l'intention, que je trouve louable, mais qui met de côté une grande partie du lectorat.
Le récit passe quand même très vite, enfaite on se sent vivre l'aventure avec les héros. Bottero manipule avec aisance le texte pour que l'on se sente imprégner de la joie de cette petite troupe. On rit quand ils rient, on est ému quand ils s'émeuvent. Pari réussi pour ce qui est de l'empathie. Une nouvelle fois dommage que la tient du récit ne tienne pas ses promesses.
Je me permet également de rajouter qu'un lecteur nouveau peut s'interroger sur la suite de la trilogie, le Verrou Ts'Liches étant vaincu, l'histoire devrait probablement s'arrêter à ce moment, ce qui n'est pas le cas. Si aujourd'hui la majorité des lecteurs connaissent la suite, on peut cependant s'attendre à être surpris par la tournure que va prendre la suite des évènements. L'idée de résoudre la quête principale à la fin du tome 2 et non durant le tome 3 est pour le moins déboussolant. Gageons que Pierre Bottero s'attendait à cet effet. A titre personnel que je ne pense pas que ce fusse le meilleur des choix possibles.
Au final, ce tome est celui du développement. Que ça soit le développement des personnages, devenant plus complexes mais aussi plus attachants ou le monde, qui gagne une histoire et une géographie, une politique plus développées ; les deux s'en retrouvent renforcés au final avec ce récit qui donne clairement envie de se plonger dans la suite passionnante de ces aventures. Regrettons malgré tout la scénarisation trop rapide. Et même le plus hardcore des fans ne me dirait pas qu'il n'aurait pas souhaité avoir une centaine de page supplémentaire dans ce récit pour conclure la quête d'Ewilan face aux Ts'Liches.